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Une initiation à la vie spirituelle (1)

 La rencontre avec  Dieu.   

La volonté de connaître Dieu, non plus par l'intermédiaire de livres ou de discours, mais par soi-même, voilà ce qui est au point de départ de toute vie spirituelle. Un désir nous brûle d'atteindre directement, de voir, de toucher, de sentir celui qui est venu parmi nous et dont le souvenir nous a été conservé. Il doit se présenter à nos yeux comme quelqu'un de vivant et d'agissant, de telle sorte que la certitude de son existence ne s'appuie plus sur les preuves et les commentaires, mais sur l'expérience d'une rencontre, qui se suffise à elle-même et qui n'ait plus besoin pour être reconnue et acceptée d'un garant extérieur à elle. 

 

 

   Mais, pour que ce dialogue avec Dieu, qui est le commencement et la fin de la vie spirituelle, trouve sa vérité et son achèvement, il est nécessaire d'écarter deux tentations : celle de réduire notre relation avec Dieu à la soumission à une loi extérieure, celle de chercher en cette relation un refuge et de prétendre nous guider par nos seules convictions personnelles. Ni l'une ni l'autre de ces tentations ne se trouvent sans doute à l'état pur parmi les chrétiens, car la première nous ramènerait au judaïsme sous la forme d'un légalisme meurtrier, et la seconde au paganisme qui ne veut avoir d'autre juge que sa propre conscience. Ces deux façons erronées de comprendre le christianisme ont du moins l'intérêt de signaler les deux tendances qu'il lui faut réconcilier, car la vie spirituelle authentique doit jaillir au plus profond de l'esprit  et imprégner toutes les activités humaines. 

   "Dieu est la loi". Beaucoup de chrétiens, surtout parmi les hommes, n'envisagent en fait leur vie religieuse que sous la forme d'une morale. L'Eglise a édicté un ensemble de lois qui leur ont été transmises dès leur enfance, et ils ont appris à les mettre en pratique en même temps que les habitudes sociales héritées de leur milieu. Ils ne cherchent pas à les justifier, car cette entreprise aboutirait, pensent-ils, à les faire douter de leur foi plutôt qu'à la confirmer, de sorte qu'il est préférable de laisser à ceux qui en ont la charge le soin d'en rendre compte. 

D'ailleurs, les dogmes chrétiens sont souvent pour eux un catalogue d'énoncés, sans doute estimables, mais qui ne comportent aucune nécessité interne et qui ne sont certainement pas une source de vie. Il importe uniquement à ces chrétiens de savoir ce qu'il leur faut accomplir. Plus on leur précisera dans le détail ce qu'il convient de faire, sans s'évertuer à leur fournir des arguments, plus ils s'estimeront satisfaits. Ces hommes ont la foi, et une foi agissante, mais ils se refusent à entrer dans ce qu'ils considèrent comme des subtilités risquant de troubler leur regard et, finalement, de les inhiber, alors qu'il est urgent de passer aux actes. 

   Malgré ces carences, cette manière de vivre le christianisme comporte déjà une véritable attitude religieuse. L'obéissance à des lois que l'on n'a pas choisies, et dont il serait relativement aisé de s'affranchir, suppose que soit reconnue, à travers elles, une présence qui dépasse l'homme et qui  est seule capable d'obliger. Il est possible que la crainte d'un jugement, ou d'une force qu'il ne faut pas s'aliéner, entre, pour une bonne part, dans l'acceptation de règles qui nous demandent des sacrifices sérieux et presque constants. 

Pourtant, même si nous ne le savons pas, c'est par ce moyen que nous sommes éduqués aux premiers rudiments du respect de Dieu. Ceux qui prétendent s'en être affranchis risquent de tomber dans une fadeur religieuse que ne saurait dissimuler la prétention d'avoir déjà surmonter la peur d'un Autre plus grand que nous. 

   A travers le refus de pénétrer dans le dédale des justifications de la morale chrétienne, on peut voir autre chose que la paresse d'esprit : la conviction que Dieu est Dieu, et qu'il a le droit de nous imposer, par son Eglise, des lois que nous ne pouvons pas comprendre, puisqu'il est sans cesse pour nous le maître de la vie et de la mort. Les explications ne rejoindront jamais la force et la valeur de l'obligation ; et, s'il arrivait de se soumettre parce que l'on a compris, on réduirait les injonctions divines à des recettes heureuses. Il y a donc chez ces chrétiens le sentiment confus que leur religion passe infiniment le pouvoir de l'homme ; que la morale, à laquelle ils se soumettent, revêtira toujours un aspect incompréhensible et comportera donc une part de contrainte qui doit être référée à la transcendance de Dieu et à la gratuité absolue de la Révélation.

Entre les affirmations de l'Eglise sur les devoirs de tout chrétien et les éclaircissements qu'elle donne à leur sujet n'y a-t-il pas une distance, de telle sorte qu'elle se garde d'engager son autorité de la même manière dans les unes et dans les autres ? Comme il n'est ni souhaitable ni toujours bienfaisant pour un père ou une mère de toujours expliquer leurs ordres, et qu'il serait  dangereux d'attendre que l'enfant ait pu comprendre et assumer une action avant de la lui faire accomplir, de même il est déraisonnable de n'accepter de la morale chrétienne que les obligations dont le sens nous est devenu clair. 

   Cette conception comporte toutefois des limites évidentes : elle risque de conduire à une sorte d'aliénation qui, loin de nous mettre en relation avec la transcendance divine, nous maintient à l'extérieur  de nous-mêmes. Mais, considérée comme une première étape, elle est un moyen d'éducation de la conscience, la part de dressage indispensable au déploiement des forces spirituelles. Il en est d'ailleurs ainsi dans tous les domaines, car, sans une certaine dose de contrainte, l'homme en reste à la spontanéité de l'animal qui épouse le rythme des attraits  et des caprices de ses instincts : il n'atteint pas à la maîtrise que réclame le développement de la conscience.

   La vie morale, à laquelle se bornent de nombreux chrétiens, comporte un second aspect. Elle est pour eux la manière de s'inscrire dans une société et de maintenir leur rapport à autrui. Il en était déjà ainsi pour le peuple juif, qui considérait l'observance de la loi comme la sauvegarde de la communauté et le secret de sa permanence. On critique beaucoup aujourd'hui ce que l'on appelle la foi sociologique, c'est-à-dire celle qui est fondée d'abord et avant tout sur l'appartenance à un milieu, à une terre ou à une nation. Certes, les faiblesses d'une croyance que la seule transplantation risque de faire s'évanouir n'ont pas besoin d'être soulignées. Mais, dans un fait aussi répandu, comment ne pas voir une de ces vérités humaines indubitables que l'union à Dieu la plus profonde et la plus solitaire ne saurait jamais abolir ? Nous ne croyons jamais seuls et la communion de la foi est toujours antérieure aux actes que nous pouvons poser personnellement. De même que la conscience de soi suppose la découverte de la conscience des autres, ainsi le respect du Dieu qui gouverne nos destins implique le respect d'une Eglise qui est plus que nous-mêmes et qui existe, en un sens, indépendamment de nous. Faire fi d'une foi qui se traduit surtout dans des pratiques, c'est donc menacer de rendre inconsistante et impossible une affirmation plus personnelle, c'est peut-être aussi couper la religion d'une de ses orientations indispensables.  

 

A suivre...   

"Une initiation à la vie spirituelle" - François Roustang -

DDB coll. Christus 1961

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