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Chemin vers Pâques (13)

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Il faut aussi s'arrêter un instant pour souligner cette constatation paradoxale et qui pourtant s'impose si ce que l'on vient d'écrire est juste : le salut et le péché s'expriment l'un et l'autre en termes de divinisation de l'homme.

L'homme est fait pour devenir Dieu  : il ne peut pas ne pas tendre à ce but de toutes les forces de sa volonté, quelle que soit la conscience qu'il en a. Mais il y parvient ou n'y parvient pas selon qu'il prend la bonne voie ou ne la prend pas. La bonne voie consiste à reconnaître sa propre impuissance, à croire que Dieu veut vraiment et peut effectivement le diviniser, à s'abandonner à son action, à s'ouvrir à son don gratuit. La divinisation est alors réellement accomplie par Dieu, et elle est salut. La mauvaise voie consiste à s'aveugler sur sa propre [37] faiblesse, à douter de l'Amour et de la Toute-puissance de Dieu, à vouloir se diviniser par soi-même indépendamment de Lui et donc en Le rejetant et, pour autant qu'on est en mesure de le faire, en Le supprimant.  Il n'y a alors que pseudodivinisation, et c'est la perdition.

Schématiquement, in abstracto, on pourrait donc dire qu'il existe deux attitudes  extrêmes  et opposées par rapport  au salut et à la divinisation. Il y a l'attitude qui consiste à reconnaître que le salut ne peut être que reçu comme un don gratuit de Dieu, et à s'ouvrir à ce don gratuit : c'est la foi. Et il y a l'attitude qui consiste à vouloir supprimer Dieu, et à tenter de se sauver et de se faire dieu par soi-même : c'est le péché.

Ces attitudes, cependant, ne se rencontrent pas habituellement à l'état pur : la gamme des intermédiaires est innombrable qui va d'un extrême à l'autre. Le péché, d'ailleurs, ne s'exprime le plus souvent que sous des formes étrangères à ces attitudes. D'autant plus qu'il implique une contradiction interne que le pécheur cherche instinctivement à  se dissimuler   : comment prétendre explicitement se faire dieu  en éliminant Dieu si l'on sait  que Dieu existe et qu'Il peut  seul diviniser ? Le cas de pharisiens  de l'Evangile est typique à ce sujet. Leur péché est bien, dans son fond, on l'a vu, une prétention à prendre la place de Dieu. Mais ces hommes savent que Dieu  existe et certaines de ses perfections, comme la science des oeuvres humaines et la justice dans la rétribution des mérites , sont pour eux indéniables.

Il ne leur vient donc  pas même  à l'idée de prétendre explicitement se faire dieux  par eux-mêmes en excluant le vrai Dieu, ni même de prétendre au salut sans le secours de Dieu. C'est Dieu, pensent-ils, qui seul peut les sauver. Mais ils prétendent ne pas recevoir le salut comme un don gratuit de Dieu, ils prétendent y avoir droit comme l'ouvrier a droit à son salaire ; ils prétendent que le salut leur est dû (cf Rm 4,4), ils prétendent être capables de faire des oeuvres qui leur donnent pour ainsi dire un droit sur Dieu (comme le montre l'attitude du pharisien de la parabole, sûr de lui et de son droit devant Dieu. cf  Lc 17,11-12. Le pélagianisme est à quelque chose  près une réédition du pharisaïsme. Pélage pense certes, que le salut est un don de Dieu. Mais il se croit purement et simplement capable, par sa libre volonté, de le mériter. Il élimine la gratuité de la grâce.)

Mais entre la foi pure et le pharisaïsme, il y a encore bien des attitudes intermédiaires. Tout chrétien sait que le salut n'est accessible que par la grâce de Dieu. Mais on peut fort bien, tout en affirmant n'accomplir ses oeuvres méritoires que "par la grâce de Dieu", s'approprier cette grâce en la "chosifiant" et avoir une attitude partiellement  peut-être et inconsciemment, mais réellement pharisaïque, ou bien croire avoir mérité cette grâce et éliminer par là encore la gratuité de la grâce. La volonté d'autodivinisation est encore, bien que d'une façon atténuée, le fond d'une telle attitude.

 

Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980  

Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan

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