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Héritier de la Bible (6)

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(suite)

Ou du moins elle peut naître. Elle consisterait, du côté des chrétiens, a ne plus situer le dialogue d'abord entre eux-mêmes, qui seraient l'un, et un partenaire extérieur, qui serait l'autre. Non seulement le mépris de l'autre est moins accepté aujourd'hui, mais les formules de respect et d'écoute de l'autre ne suffisent plus à résumer les devoirs. Si je les critique d'être si obvies, au point d'être devenues presque inaudibles malgré leur bien-fondé, c'est parce que l'autre est à reconnaître... en nous. Nous sommes l'un et l'autre, ce qui se traduit en ce cas précis par la reconnaissance, dont il faudra préciser les termes, d'un élément juif dans l' Eglise. On objectera, du côté chrétien, la formule très connue et peu étudiée de saint Paul : « ni juif ni grec ». Mais quand, dans l'Eglise, il reste en tout et pour tout... les Grecs, c'est que la formule n'a pas été appliquée. D'ailleurs saint Paul dit aussi et, ce qui est le plus fort, il dit au même endroit : « ni homme ni femme » (Ga 3,28) : 88 l'empressement vers le contenu imaginaire du texte ne  suffit donc pas. C'est le cas d'interpréter... Il reste les objections que le partenaire juif a maintes fois soulevées. Vouloir être l'un et l'autre, c'est bien ce qu'on nous reproche. Le sens de la formule, du moins son sens obvie (son faux sens), c'est que l'autre du dehors est devenu superflu. Il n'est pas difficile, éclairant l'histoire par ce reproche, de retourner contre la chrétienté tout ce que je disais plus haut : l'histoire fournit les charges. Le même peuple chrétien, qui admirait Notre Dame en effigie au milieu des patriarches, rois et prophètes d'Israël, supportait mal le peuple juif sous sa forme vivante, forme qui n'était pas celle d'un cercle entourant Jésus et sa mère, comme dans les vitraux. L'image la plus douce qu'il en traçait, nous la trouvons dans ces statuts de la synagogue, femme bien aussi belle que l'Église, mais la face détournée, privée de la vue par un voile sur les yeux. Les chrétiens habitaient donc ce livre de l'Ancien Testament. Ils en tiraient des joies et des lumières immenses, mais pouvaient-ils l'habiter à eux seuls ? C'était la question. L'image du voile, prise à  saint Paul, voulait dire que la synagogue ne voyait pas dans la Bible ce terme de l'histoire déjà commencée, révélée à l' Eglise seule. De là à dire que la synagogue ne voyait rien du tout, il n'y avait qu'un pas, vite franchi par le peuple mais aussi par des savants, dans les moments où ils cédaient au danger de l'éloquence. Pourtant la beauté du visage de ces statuts de la synagogue, comme celle de Reims, nous restitue le regard que portait sur elle maint docteur chrétien. C'est ainsi que les Victorins de Paris s'instruisaient grandement des livres de Rachi, 89 l'illustre exégète juif de Troyes en Champagne, comme une étude récente l'a montré.
On a dit et redit que l'allégorie, type de lecture préférée des chrétiens de ces époques et de toute liturgie, était le moyen, pour l'Eglise, de voir ce qu'elle seule pouvait voir et d'expulser, pour ainsi dire, le peuple de chair et de sang hors du livre. Il n'est pas si facile de régler ainsi son compte à l'allégorie, qui a existé avant les chrétiens chez les juifs, mais c'est là une autre question. Ceci surtout me frappe : il y a quelque chose d'instable dans l'attitude des communautés chrétiennes envers l'Ancien Testament et ce n'est pas de cela qu'elles ont à rougir. Comme tout au long des changements racontés par la Bible elle-même, il ne s'agit pas d'incohérence, mais d'histoire. La valorisation symbolique intense de l'Ancien Testament accompagnée d'attitudes négatives envers l'Israël réel contemporain  de l' Eglise était une position qui ne pouvait pas se maintenir indéfiniment.

                                                                                          A suivre...

  

Paul Beauchamp, Testament biblique, Ed. Bayard 2001. ISBN 2-227-47034-8

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