89. Quand Dieu devient insipide et ne dit plus rien c'est peut-être que l'espace virtuel va s'élargir. Votre chance fut de trouver Dieu mortellement ennuyeux dès votre jeunesse. Longtemps vous vous efforçâtes d'avoir l'air de l'aimer afin de complaire à ceux de votre clan. On a peur de blesser et l'on a un coeur faible.
Votre chance en même temps fut d'avoir entendu certains versets des évangiles par la voix de votre mère : ils donnaient du bonheur, à l'instant même. Et d'avoir été touché par le Dieu de Pascal, de Jean de la Croix, de Bérulle, de Nietzsche dont les imprécations vous donnaient le désir d'adorer. Vous vous consoliez de répéter des formules claires et stériles du prosélytisme ordinanire en vous abreuvant en secret à ces sources. Tandis que la proximité des petits et des pauvres qui parlent spontanément la langue mystique à 90. travers n'importe quel langage, vous confortait dans votre préférence. Jusqu'à ce que vous vous mîtes quelque peu à l'écart des spécialistes de l'endoctrinement, pour tenter de réconcilier dans l'écriture ce qui était déchiré dans l'expérience sociale. D'une part un langage formel, abstrait, répétitif, psittaciste qui ne tenait que par la soumission ; d'autre part des morceaux de textes bibliques débranchés du souffle qui n'étaient là que pour justifier. Très tôt vous sûtes que le pire fidéisme n'était pas toujours où l'on pensait : il était dans l'attachement aveugle à des formules nécrosées qui, sous couvert de fidélité, affirmaient des croyances étrangères à la vie. (...)
Jean Sulivan - L'exode - Cerf, 1988 - ISBN 2-204-02895-9 (première édition Desclée de Brouwer 1980)
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