95. (...) Sans doute faut-il s'élever contre cet abus, qui consiste à réduire le christianisme au message de la Résurrection (et certes !), en escamotant la vie terrestre du Sauveur comme insignifiante, voire comme problématique. La lumière de Pâques n'estompe pas le reste de l'Evangile, mais l'éclaire et le met en valeur ; elle fait apparaître, dans ce Ressuscité, obéissant à en mourir, Quelqu'un qui a vécu toute son existence comme un service : service du Père dans le service des hommes (Mc 10,45), indissolublement. En d'autres termes, le Christ prêché comme Seigneur, et proposé comme tel à notre foi, n'est pas un autre que le Jésus prêchant le règne de Dieu, et s'y soumettant lui-même jusqu'au bout de ses forces. Et si la Nazaréen a été fait Christ et Seigneur ( Ac 2, 36), c'est justement pour avoir réalisé lui-même le contenu de sa prédication, pour avoir 96 satisfait de façon exhaustive et exemplaire aux exigences absolues du règne de Dieu, tournées contre sa propre vie. " C'est à cause de cela qu'il a été exalté " (Ph 2,9)
La Résurrection est bien la glorification du serviteur, et la foi s'adresse à la totalité du mystère de Jésus-Christ. C'est vainement qu'on opposerait à une éthique pré-pascale un kérygme post-pascal : la prédication primitive s'insurge contre cette disjonction du croire et du faire, parce que, pour elle, le Seigneur proclamé n'est autre que le serviteur exalté.
Dès lors, la vie chrétienne, loin de juxtaposer une doctrine et des œuvres, communique ce dynamisme profond, où le théologal et le moral s'unifient dans le service. Hors de là, il n'y a qu'abstraction et que faux problème. L'expérience spirituelle, et elle seule, peut nous faire comprendre cela. L'unité ne se décrète pas : elle se vit. Tant que nous ressentons un écartèlement, voire une opposition, entre la foi et les tâches humaines, ou entre les deux volets de l'unique commandement d'aimer, nous manifestons par le fait même une insuffisance de profondeur et de radicalité dans notre don à Jésus-Christ. Le Seigneur n'a jamais été tiraillé entre deux fidélités antagonistes ; il ne nous a pas aimés comme l'antithèse de son Père. S'il est entré en agonie, c'est à cause du péché.
André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil 1968