87. Si la Révélation de l'Amour divin nous atteint au plein cœur d'un drame historique, c'est pour nous apprendre en définitive notre structure. La Croix fait découvrir la Création : le même Dieu qui nous pardonne nous a déjà donné ; le Rédempteur ne fait pas alliance avec la créature d'un autre Dieu : " Le même Dieu est à la fois Créateur et Sauveur " (Gaudium et spes, 41.2). Le péché n'est donc pas la seule articulation entre le Seigneur et nous, même si l'aveu est le point de départ de la foi. L'économie du salut s'épanouit en anthropologie, d'un même et unique mouvement. Et la Révélation, pour s'être opérée progressivement dans l'Histoire, nous manifeste un Amour total dès l'origine, Dieu s'étant pleinement engagé dès la création. Si nous n'étions pas déjà suscités par sa Parole créatrice, nous ne pourrions pas saisir sa Parole de pardon. Le Père n'a d'ailleurs pas deux Paroles.
Si Dieu est rencontré comme l’Époux, il est aussi reconnu comme notre Père : l'Ecriture utilise les deux symboles. Il n'est donc pas seulement l'Amour que l'on choisit, mais aussi l'Amour que l'on ne choisit pas, l'Amour dont on se découvre pétri. Nous ne sommes pas branchés sur lui par une rencontre purement fortuite, mais par notre contingence même, à la racine de notre existence. Nos questions " religieuses " proviennent de là : " Tu 88. nous as faits pour toi, et notre cœur ne connaît aucun répit jusqu'à ce qu'il trouve son repos en Toi (cf. Gaudium et spes, 21.7)
Si la foi chrétienne est nécessairement un acte libre, elle n'est pas l'assentiment à une vocation facultative, mais la découverte de notre destinée plénière, du seul humanisme qui ne soit pas tronqué (ibid., n° 19.1) Par ailleurs, si un christianisme sociologique est indigne de ce nom, il est clair que la foi ne trouve de racines solides et n'opère sa croissance que dans un certain humus : les missionnaires le savent bien. L'Eglise n'est pas un pur baptisme, c'est-à-dire une congrégation d'adultes, orphelins et célibataires, partant à zéro individuellement au passage d'une pentecôte problématique.
Enfin, si la Christ instaure le culte spirituel, à célébrer avec les tâches humaines quotidiennes, il n'est cependant pas venu nous dire que les processus de ce monde, biologiques, politiques et économiques, menaient d'eux-mêmes au Royaume. Il accrédite son Eglise comme le signe obligé de son Salut, non, certes, en marge de l'humanité, mais avec une tâche spécifique et irréductible. Il a confié à ses apôtres le soin de transsubstantier un pain qui n'est que " la matière du Royaume des cieux " (ibid 38.1). S'il a vraiment aboli la catégorie du sacré (ce qui cristallise en marge du profane), c'est pour lui substituer celle du sacrement (ce qui permet au monde de faire sa Pâque) : notion qui fait défaut à la théologie protestante. Enfin s'il a uni indissolublement les deux premiers commandements , amour de Dieu, et amour du prochain, il n'a certes pas englouti le premier dans le second. Il se manifeste dans le frère à aider, sans pour autant s'y dissoudre ; la foi oeuvre par la charité, mais ne s'y résorbe pas.
André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil, 1968