Le malheur des religions en général, et du christianisme en particulier, a été de se réduire chez un trop grand nombre à un pur système de représentations socio-mentales. Un Dieu Créateur, un Dieu Amour en trois Personnes distinctes et unes, un Dieu qui se livre aux hommes en la personne du Verbe fait chair et qui ramène dans une unité de type absolument original, par et dans le corps glorifié de Jésus, la totalité de sa création matérielle et spirituelle, et tout le reste enfin n'ont plus constitué qu'un ciel d'idées générales ou singulières, dont beaucoup se disent aujourd'hui que c'est un décor bien vieillot, bien compliqué et bien inutile. C'est que le langage de leur foi est devenu un livre scellé, rien moins qu'une expérience même balbutiante. C'est qu'ils ont perdu le secret, qui est inséparablement celui de la révélation du Dieu vivant et celui de leur propre destin.
Ceux qui ne savent pas le secret
Se moqueront de toi
Et tu en seras tout attristé;
Mais ne perds pas courage,
Pêcheur de perles, ô mon âme !
Le secret ? Oh! certes pas un ésotérisme plein de chiffres et de formules bien gardées. Mais l'accès à un Cœur, au Foyer divin: « Tout m'a été remis par mon Père et nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler » (Mt 11, 27).
(...)
Cependant à ceux des chrétiens qui, ne sachant plus ce qu'ils croient ni ce qu'ils cherchent, s'en vont de-ci de-là prêts à tous les exotismes et à tous les syncrétismes, j'entends comme une voix s'écrier: Qu'allez-vous donc voir en Orient ? Des connaisseurs de secrets ? Mais les secrets se découvrent maintenant dans les laboratoires des savants. Alors, des hommes dotés de pouvoirs merveilleux ? Mais ceux qui ont les pouvoirs les plus merveilleux marchent désormais sur la lune. Qu'allez-vous donc voir ? Des sages ? Oui, en vérité, et plus que des sages : des pêcheurs de perles qui ont plongé plus profond vers le fond de bien des choses que beaucoup de ceux parmi vous qui se sont prétendus sages. Et pourtant, sachez-le bien, « le moindre dans le Royaume des cieux est plus grand » qu'eux tous (cf. Mt 11, 11).
Or cette parole du Seigneur ainsi paraphrasée ne peut pas signifier à mes yeux le sot contentement de celui qui se croit possesseur et maître de la vérité ou à qui l'on garantit qu'il a gagné le gros lot. C'est une énigme profonde, profonde, dont le sens n'apparaîtra qu'à celui qui se fera tout à la fois « petit enfant » (au sens du Christ) et pêcheur de perles dans les fonds, somme toute si peu explorés, de l'Évangile.
A-M Besnard - Vers Toi j'ai crié - Cerf 1979, pp. 19-20.22-23