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voile de véronique

  • Récits de la Passion 10

    Texte extrait du livre " Pilate "  de Jean Grosjean - Ed Gallimard 1983

     

    82

    Malchos : Caïphe m'envoie. Vous savez comme il est pris par la fête.

    Pilate : Je sais. Mais toi qui veilles sur l'ordre...

    Malchos : Justement. Oh, pourquoi regardez-vous encore mon oreille ?

    Pilate : Est-ce que je m'occupe de ton oreille ?

    Malchos : Tout le monde regarde mon oreille.

    Pilate : Pas moi.

    Malchos : Il m'envoie vous dire que l'homme avait dit...

    Pilate : Au fait.

    Malchos : Qu'il revivrait le troisième jour.

    Pilate : Alors ?

    Malchos : Les siens vont enlever le corps et dire...

    Pilate s’impatientait mais il regardait cette oreille droite. Malchos perdait ses moyens.

    Pilate : Que me veut cette fois ton Caïphe ?

    Malchos : C'est moins lui que ses opposants, 83 les lettrés. Ils disent qu'une fois le corps enlevé du sépulcre, la foule criera à la résurrection. Caïphe est sérieux, il se moque des croyances, mais les lettrés ont toujours peur de la foule parce qu'ils voguent dans les mêmes bateaux qu'elle. Si les gens disaient que le mort s'est relevé du sépulcre les lettrés seraient démunis. Ils prônent des possibles, ils ne peuvent plus rien nier. Des ouvreurs de tombe un peu rusés ôteraient aux lettrés leur emprise. 

    Pilate : Te voilà subtil mais cela ne me concerne pas.

    Malchos : Il faudrait faire garder le tombeau.

    Pilate : Une légion suffirait-elle à maintenir un mort dans sa tombe ?

    Malchos : On ne demande pas une légion.

    Pilate : Ils ont des gardes. Est-ce que tu ne commandes plus ta troupe ? 

    Malchos : Mais a-t-on le droit ?

    Pilate : Faites comme vous l'entendez et ne me demandez rien.

    Malchos : Caïphe dit qu'un soulèvement...

    Pilate : Je m'en occuperais.

    Malchos prenait congé. Pilate le retint.

    Pilate : Comment vous y êtes-vous pris la nuit ?

    Malchos : On avait un indicateur.

    Pilate : Vous avez payé un disciple ?

    Malchos : Ce Judas ne tenait pas tellement 84 à s'enrichir, du moins pas ce jour-là. Plus qu'à la richesse il croyait aux riches, aux puissants, aux officiels.

    Pilate : Comment s'était-il fourvoyé chez un marginal ?

    Malchos : Les marginaux aussi l'étonnaient. Toutes les sortes de célébrités formaient pour lui l'ensemble du monde qui compte et il voulait y être admis.

    Pilate : Il ne faisait pas de différence entre l’Établissement et les rebelles ?

    Malchos : Leurs divergences lui échappaient ou elles le consternaient. A ses yeux la réussite était indivisible.

    Pilate : C'est toi qui a déniché cet agent ?

    Malchos ne répondit pas.

    Pilate : Tu fais le modeste ou le discret, comme d'habitude, mais avec moi tu ne risques rien.

    Malchos : Vous n'êtes pas toujours si curieux.

    Pilate : Cette affaire m'intéresse.

    Malchos : J'en ai trop dit.

    Pilate : D'homme à homme, parle moi de ton agent. Ce n'est pas toi qui m'intéresses. Comment ton agent a-t-il été disciple ?

    Malchos : Il avait trouvé en Jésus un échelon à gravir.

    Pilate : Il s'est cru malin de changer d'échelle en cours de montée ?

    85

    Malchos : Les rêves de ses condisciples le navraient, les condisciples gâchaient la carrière du maître, les condisciples ne s'intéressaient pas assez à la société que Dieu a faite. Pour Judas le messie ne pouvait être en contradiction avec des prêtres ni avec des scribes.  

    Pilate : Perspicace notre Malchos. Voilà sur quoi tu as joué

    Malchos ne répondit pas.

    Pilate : Ton Judas croyait faire tomber les malentendus entre son maître et les autres maîtres. Il rêvait d'un débat parlementaire où les intérêts inavouables se concilient sous le voile des phrases. Il suffit d'arracher les prophètes à leur province inculte. Voilà le grand dessein que tu as su deviner et utiliser. Mais tu en fais une tête ! 

    Malchos : Monsieur le gouverneur, s'il y a jamais, dans mon peuple, un prophète, personne de mon peuple n'ira se figurer qu'on puisse le concilier.

    Pilate regarda encore l'oreille de Malchos et dit : Ta race saura écouter. Un dieu lui touchera l'oreille.

    Malchos : Si j'osais me permettre une insolence...

    Pilate : Ne te prive pas, je n'ai pas tant de distractions.

    86

    Malchos : Je dirais que les Romains ont des têtes de sourds.

    Pilate regardait Malchos s'éloigner, vit passer Corneille et l'interpella : Tu n'as pas l'air gai.

    Corneille : Du sale travail.

    Pilate : Les condamnés ?

    Corneille : Et l'un était fils du dieu.

    Pilate : Comment cela ?

    Corneille : Sa douceur dans la douleur. Il disait : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi ? Il n'a pas voulu de narcose. Il a dit : Mon père, est-ce qu'ils savent ? A la fin il a eu trop soif, on lui a tendu à bout de lance une éponge de vinaigre. Il pleurait sans presque geindre, mais quand son souffle s'est soustrait, ç'a été avec un grand cri, et le sol tremblait.

    Pilate parut regarder une araignée qui tissait son filet dans l'angle du mur, puis il se tourna vers Corneille.

    Corneille : Quand il portait son pilori dans la ruelle montante au milieu de la cohue, une femme lui a posé un linge sur la face. Quand elle a retiré le linge, elle avait l'air d'être la survivante d'un naufrage. Moi, j'ai regardé le visage défait, un visage qui empêcherait le temps de passer.

    Pilate : Tu crois ?