Texte extrait du livre " Pilate " de Jean Grosjean - Ed Gallimard 1983
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Procla : Quel courage !
Pilate : Hérode n'aurait pas osé...
Procla : Il n'a pas osé, il te l'a envoyé.
Pilate : Est-ce que je n'ai pas voulu le libérer pour la Pâque ?
Procla : Et tu n'as pas réussi.
Pilate : Ils ont prôné Barabbas.
Procla : Et tu as libéré Barabbas.
Pilate : J'ai tenté d'apitoyer la foule.
Procla : La foule est comme les chiens, il ne faut pas leur faire goûter le sang.
Pilate : Quand je m'en lavais les mains, ils allaient reculer, mais les chefs invoquèrent César.
Procla : Il fallait les y envoyer.
Pilate : Et nous ?
Procla : Tu te démettais.
Pilate : Nous aurions suivi leur délinquant ?
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Procla : Pourquoi pas ?
Pilate : Il se serait fait lapider au premier coin de haie.
Procla : L'empereur même n'est qu'un vagabond qui s'avance au hasard des événements jusqu'au jour où il tombe dans la trappe. Les lauriers ne sont qu'un paravent.
Pilate : Certes.
Procla : Pourquoi ne pas vivre ? pourquoi les faux rôles ?
Pilate : Il m'a dit : Ce que tu peux t'est donné.
Procla : Qu'en as-tu fait ?
Pilate : Tais-toi. Je ne dois rien qu'à lui.
Procla : Je t'en prie. Mais tu ne l'as pas relâché.
Pilate : Il ne s'y prêtait guère.
Procla : C'est tout ce qu'il a dit ?
Pilate : Ceux qui me livrent à toi sont pires.
Procla : Ça ne te blanchissait pas
Pilate : Tais-toi. Tout s'est passé trop vite.
Procla : Ah, sentinelle de l'empire.
Pilate : On m'a pris à contretemps. Je n'aime pas cette fièvre des orientaux.
Procla : Elle te séduisait.
Pilate : Elle me tue. Lui du moins, il était l'homme des longs instants.
Procla : Une sorte de Romain ?
Pilate : Au contraire, un frémissement. Ses silences n'étaient pas muets. Il était face à une foule folle. Il n'avait que moi.
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Procla : Je t'en prie.
Pilate : Il n'y aura qu'à ma mort...
Procla : N'est-ce pas aujourd'hui ?
Pilate : Que veux-tu dire ?
Procla : Ne me crois pas jalouse.
Pilate : Je l'ai laissé.
Procla : C'est ce que je voulais dire.
Pilate : Je suis entré dans la nuit, dans la rumeur des grillons noirs. Ma vie n'est plus liée qu'à un mort.
Procla : Je t'en prie.
Pilate : Mais une lueur à la frange de l'âme ou du moins son reflet sur toi...