De façon très globale, essayons déjà de caractériser la prière qui sera l'œuvre de la foi (foi entendue non au sens du contenu, mais de l'attitude de l'âme et de sa rectitude). Il me semble qu'on peut situer une prière qui chemine dans l'axe de la foi par rapport à deux fossés dans lesquels la prière peut faire naufrage.
Le premier fossé, c'est de considérer la prière comme une sorte de tribut payé à la divinité sans véritable engagement du cœur. C'est une tentation permanente de la prière pour quelqu'un qui a reconnu qu'il dépendait de Dieu, pas simplement d'un Dieu, mais même du Dieu vrai. Pour celui-là, il est évident que la prière s'impose sous une forme ou sous une autre, qu'il faut bien qu'il reconnaisse que Dieu est son Dieu par certains actes, gestes, rites, cultes, et cela peut très vite tourner à l'obligation pesante (...)
Là, encore, on trouverait des exemples dans l'histoire d'Israël: voyez les paroles des prophètes contre le culte ritualiste d'un Temple où l'on allait parce qu'il fallait bien payer à Dieu ce tribut, le cœur n'y était pas.
L'autre fossé, c'est la prière conçue comme défoulement aveugle d'un certain désir. C'est une prière ici qui est passionnée, trop humaine. S'y manifeste l'agressivité à l'égard d'autrui, ou l'auto-satisfaction, ou au contraire un masochisme d'auto-accusation. On se passionne pour se reconnaître coupable devant Dieu mais d'une façon exagérée, dans une espèce de traumatisme de culpabilité qui n'est pas sain. Ou bien, au contraire, à l'autre extrémité de ce désir on quête la jouissance de Dieu, une espèce d'érotisme spirituel qui se ferait jour dans certaines formes de prière et de recherches de prière. Ce que S. Jean de la Croix appelait d'un mot très juste, pour les commençants dans la vie de l'oraison : la tentation de gourmandise spirituelle.
Eh bien, la foi est une victoire incessante pour éviter autant le volontarisme ascétique que l'érotisme spirituel. Trois traits me semblent caractériser l'attitude de foi qui doit animer une prière chrétienne :
1. Une attention au désir de l'Autre "divin" (...) La foi, c'est Dieu qui nous cherche (...)
2. L'accomplissement de notre être essentiel. Dans la prière, notre être le plus profond (...) achève sa naissance. (...)
3. L'accueil d'autrui, une mise en disponibilité à l'égard d'autrui (...) La prière la plus silencieuse, même la plus retirée, la plus érémitique, a cette dimension (...)
A-M. Besnard - Vers Toi, j'ai crié - Cerf 1979, pp. 112-114