Textes tirés du livre du P. Raymond E. Brown - " Lire les Évangiles pendant la Semaine sainte et à Pâques " - Cerf 2009
11 Tous les ans, pendant la Semaine sainte, la liturgie de l'Eglise nous met en face de problèmes de critique biblique en faisant lire, dans un laps de temps très bref deux récits de la Passion : le dimanche des Rameaux, nous entendons la Passion selon saint Matthieu (année A) ou selon saint Marc (année B) ou selon saint Luc (année C), et le Vendredi Saint, nous entendons la Passion selon saint Jean. " Ceux qui ont des oreilles pour entendre " devraient remarquer que, quelle que soit l'année, les récits du dimanche des Rameaux et du Vendredi saint ne donnent pas la même image de la crucifixion de Jésus. Contenu et point de vue sont différents. Développons cette remarque.
On a affirmé que la tradition évangélique s'était constituée " à rebours ", partant de la Résurrection pour aller vers la naissance de Jésus. Il est certain que les prédications chrétiennes anciennes faisaient surtout porter leur attention sur la crucifixion et la résurrection de Jésus. Ainsi les Actes des Apôtres répètent-ils : vous avez tué Jésus en le suspendant au bois, mais Dieu l'a relevé (2,32.36 ; 5, 30-31 ; 10, 39-40). Puis, à mesure que les chrétiens réfléchissaient sur la carrière du crucifié, des récits concernant son ministère se sont fait jour, et finalement, chez Matthieu et Luc, des récits sur sa naissance. 12 C'est ainsi qu'à partir d'un compte rendu de base de la crucifixion un évangile a pu se former assez vite.
La mise en forme d'un tel compte rendu aurait été facilitée par l'ordre chronologique des événements. Il fallait que l'arrestation précède le jugement qui, à son tour, devait précéder la sentence et l'exécution. Il en résulte, dans nos évangiles canoniques, un récit construit, avec une intrigue, où l'on suit les actions et les réactions de Jésus, bien sûr, mais aussi de tout un ensemble de personnages comme Pierre, Judas et Pilate. L'effet du sort subi par Jésus sur différentes personnes est illustré avec vigueur et les contrastes font ressortir la tragédie. Jésus innocent mais condamné est mis en parallèle avec le révolutionnaire Barabbas, qui est libéré bien que coupable d'un crime politique semblable à celui dont on accuse Jésus. En parallèle aussi, les autorités juives moqueuses qui tournent en ridicule l'idée d'un Jésus Messie et un soldat romain qui le reconnaît comme Fils de Dieu. Rien d'étonnant à ce que la liturgie nous encourage à revivre la Passion en la faisant lire à haute voix, selon des rôles déterminés. Chaque récit de la Passion constitue une pièce dramatique.
Le récit johannique de la comparution devant Pilate donne presque des directives de jeu scénique, avec le chef des prêtres et " les Juifs " soigneusement situés hors du prétoire et Jésus tout seul à l'intérieur. Le va-et-vient de Pilate entre eux donne un caractère dramatique à quelqu'un qui cherche à prendre une position médiane, pour tenter de réconcilier ce qu'il considère comme des extrêmes, sans prendre parti pour aucun des deux.. Mais le sort en est 13 jeté et c'est Pilate, non pas tant Jésus, qui, en réalité, est mis en jugement, coincé qu'il est entre la lumière et les ténèbres, entre la vérité et le mensonge. Jésus le met au défi d'écouter la vérité (Jn 18,37) ; mais sa réponse cynique " Qu'est-ce que la vérité ? " est en réalité un choix du mensonge. Jean avertit le lecteur que personne ne peut éviter le jugement lorsqu'il se trouve face à Jésus.
P. Raymond E. Brown
A suivre...