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Y a-t-il néanmoins alors résurrection corporelle, résurrection de l'homme avec son corps ? - Non et oui. Non, si on entend "corps" au sens physiologique, le corps tel quel, le "cadavre", les "restes". - Oui, si par "corps" on entend ce que le Nouveau Testament appelle sôma, réalité moins physiologique que personnelle elle-même, le Moi lui-même avec toute [158] sa propre histoire - ce que néglige à tort la doctrine bouddhiste de la réincarnation, bien qu'elle insiste sur une corporéité nouvelle (mais terrestre évidemment). Parler de la résurrection du corps c'est donc dire, selon la formule du théologien catholique Franz Josef Nocke, que "ce n'est pas uniquement le Moi tout nu de l'homme qui est sauvé à travers la mort, ce qui laisserait définitivement de côté toute son histoire terrestre, et rendrait insignifiantes toutes ses relations aux autres humains ; résurrection corporelle veut dire que l'histoire d'une vie et toutes les relations faites au cours de cette histoire parviennent à leur achèvement et appartiennent définitivement à l'homme ressuscité" (cf. F.J. Nocke, Eschatologie, Düsseldorf, 1982, p. 123)
En d'autres termes, ce n'est pas la continuité de mon corps en sa dimension physique qui est en jeu. Les questions scientifiques comme celle de la persistance des molécules, ne se posent même pas alors. Ce qui est en jeu, c'est l'identité de la personne : ce qui pose donc la question de la signification permanente de toute ma vie et de ma destinée ! "L'amour de Dieu va au-delà des molécules qui se trouvent dans mon corps au moment de ma mort ", dit à juste titre Wilhem Brenning, professeur de théologie catholique. "Il aime un corps marqué par toutes les fatigues, mais aussi par l'insatiable désir de son pèlerinage, un corps qui, au cours de ce pèlerinage, a laissé beaucoup de traces dans un monde devenu humain justement par ces traces... Résurrection du corps veut dire que, de tout cela, rien n'est perdu pour Dieu, parce qu'il aime l'homme. Tous ses rêves il les a recueillis, nul sourire n'est perdu pour lui. Résurrection du corps veut dire que l'homme retrouve près de Dieu non seulement son dernier instant, mais toute son histoire.
Cette histoire retrouvée en Dieu peut naturellement être considérée comme une histoire accomplie. Car je n'entre pas en Dieu comme un être diminué, amputé spirituellement ou physiquement, mais comme un être complet. Contrairement à ce qu'insinue la pensée indienne, je ne disparais pas en Dieu comme une goutte d'eau dans la mer, justement parce que l'homme n'est pas qu'une goutte d'eau et que Dieu est plus que la mer. En se perdant dans la réalité de Dieu, l'homme se trouve. En entrant dans l'Infini, la personne finie perd ses limites, de sorte que l'opposition actuelle personnel/apersonnel passera dans le transpersonnel. Si la réalité ultime n'est pas le néant, mais ce Tout que nous appelons Dieu, [159] alors la mort est moins destruction que métamorphose, vita mutatur non tollitur, "la vie est transformée, non pas ôtée", est-il dit dans la préface de la messe pour les défunts. Donc non pas une fin (Enden), ni même une mort (Verenden), mais un parachèvement (Vollenden), non pas un amoindrissement, mais un accomplissement, l'accomplissement définitif.
Que veut dire "vivre éternellement" ? (...)
A suivre...
Hans Küng - Vie éternelle ? Seuil 1985