Désormais il n'y a plus qu'un psalmiste : le Christ. Tout le fleuve de la prière des hommes s'est resserré pour passer par son cœur.
C'est-à-dire qu'il n'y a plus que l'Eglise, car le Christ est le Chef de ce Corps qu'il est venu bâtir avec lui-même.
L'Eglise exploite donc ce Psautier qui lui livre la prière de son chef, qui lui permet de communier à cette prière et d'y accorder le cœur des siens. L'usage qu'elle en fait n'est que le mouvement naturel de son être, il est simplement fidélité. Il faut moins prouver l'usage qu'en fait l'Eglise - cela éclate aux yeux et en particulier dans l'acte essentiel de son ministère - que découvrir les lois de cet usage pour nous y adapter.
Ces lois sont claires :
- Tout le Psautier passe désormais par le Christ. Il n'y a plus de prière qui ne soit la sienne.
- Le Psautier a révélé ce qui était sa destination profonde : il appartient au Christ. C'est donc faussement qu'on parlerait de le christianiser, comme s'il n'était pas chrétien dès l'abord : il faut y reconnaître le Christ et laisser ces prières s'achever en les faisant passer par la bouche et le cœur du Christ.
Des études récentes ont fait la preuve que le Psautier était entré dans la prière de l'Église expressément en tant que porteur du Christ. Tous ces chants parlent de lui ou le montrent parlant à son Père. C'est ainsi que l'entendent les Pères et les ouvrages monastiques dans la manière dont ils traitent le Psautier.
Un exemple, décisif et infiniment riche, de cette utilisation des Psaumes, c'est la liturgie de la Semaine Sainte : les chants abondent dans les offices, depuis le Dimanche de la Passion, où des mots des Psaumes sont pris comme chantés par le Christ lui-même et exprimant ses sentiments.
Mais du coup, chacun de ceux qui récitent les Psaumes se trouve incorporé à tous les autres.
C'est la voix de l'Église, et le Psautier se refuse presque, quand on ne veut pas adopter une fois pour toutes cette loi.
S'il s'agit de la misère du monde, cette misère est la nôtre comme Jésus en a fait la sienne. Ceux qui n'ont pas de voix trouvent en nous une voix.
S'il s'agit de la sainteté de l'Église, c'est encore la nôtre, car nous sommes un avec les Saints et leur chant est légitimement le nôtre.
Le Psautier, comme prière parfaite de l'Église, nous apprend à nous perdre pour nous retrouver. Le Corps mystique qui est l'Église transcende l'espace et le temps. Les Psaumes nous font revivre le passé et son attente, nécessaire pour ouvrir nos âmes dans l'humilité ; ils nous ouvrent l'avenir, nécessaire pour ouvrir nos âmes à l'espérance.
Et toute cette prière va ainsi au but commun, définitif, qui est le Royaume de Dieu. Si le chrétien veut vivre dans l'esprit de l'Église, il lui faut, contre l'enlisement du présent, entretenir l'attente de la Parousie. Cette attente si fervente dans la prière des origines, si vivante dans la prière officielle de l'Église, risque d'être absente de la conscience chrétienne. Elle est cependant essentielle à la Révélation ; elle est nécessaire pour triompher du monde.
Or les Psaumes sont tendus vers ce but suprême, ils entraînent la nostalgie de Dieu et ce sentiment d'être des pèlerins vers une autre patrie.