La rencontre avec Dieu (suite)
Aussi faut-il parler maintenant de l'attitude qui doit précéder ou suivre l'action divine, imprévisible dans sa gratuité, afin d'y correspondre pleinement et de la reconnaître quand elle nous atteindra. Elle est accueil de la présence divine qui vient vers nous.
Entre le don qui nous est fait et son acceptation, il existe une distance infinie. Dieu parle, mais il est possible de se refuser à l'entendre ; de même, quand le Seigneur intime un ordre, nous pouvons tarder à l'accomplir. Penser qu'il faille écouter pour que sa parole retentisse et qu'il soit nécessaire d'obéir pour que l'ordre prenne consistance, ce serait renverser les rôles et ne pas comprendre que les décisions divines sont sans repentance : elles n'ont pas besoin de notre accord pour se formuler. Mais le don est, également indépendant de nous, parce que, en tout état de cause, il produit un effet ; les gestes de Dieu ne peuvent passer inaperçus. Même à travers l'insoumission de certains, le Maître de toutes choses accomplira son dessein : " La parole qui sort de ma bouche ne me revient pas sans résultat, sans avoir fait ce que je voulais et réussi sa mission " (Is 55,11).
Dans le cas d'un refus obstiné, l'intervention divine sera suivie de notre déchéance et de notre perte, à moins que, à la vue de ces méfaits, nous acceptions de nous convertir.
L'accueil commence par le désir de la rencontre, que Dieu éveille peu à peu en nous avant de l'amplifier jusqu'à lui subordonner tout autre souhait. Pour que se creuse la place que notre Seigneur viendra combler, il faut accentuer, de jour en jour et d'année en année, l'attente de sa venue. Sans cela, nos cœurs seraient trop encombrés pour que nous puissions aisément le reconnaître et le laisser agir en nous à son gré. Comme la faim, le désir de l'Autre, du tout Autre, nous délivre de l'esclavage des nourritures auxquelles nous étions accoutumés, et il nous fait goûter ce vers quoi, en d'autres circonstances, nous n'aurions même pas voulu étendre la main.
L’Évangile revient souvent sur cet état de veille, où doit nous trouver le Christ lors de sa venue. Or, ces textes ne font pas seulement allusion à son retour à la fin des temps (Parousie), mais à son apparition quotidienne. Combien de fois il nous arrive de nous endormir, fatigués de cette veille qui n'avait pourtant duré que peu de temps, et qui était seul capable d'aviver nos sens intérieurs ! Nous voulons bien trouver Dieu, mais il faudrait que ce soit tout de suite ; et que, à peine annoncé, il se présente à nous ! Si nous ne supportons pas plus longue attente, c'est qu'à travers notre désir nous voulons amener Dieu à nous satisfaire ; au contraire, l'interminable piétinement de nos vœux non exaucés nous contraint d'abandonner la prétention d'asservir la puissance divine pour nous ouvrir à elle sans condition.
Le propre du désir et de l'attente est, en effet, de nous rendre disponibles. Nous ne savons ni le jour ni l'heure, mais cela est nécessaire, car, si Dieu est Dieu, il ne peut venir à nous qu'à l'improviste. Le caractère imprévisible de la rencontre traduit la gratuité du don, la liberté souveraine de celui qui n'a de compte à rendre à personne. Dieu ne s'amuse pas avec nous, il ne joue pas en vue de nous faire le chercher. Si nous étions capables d'entrer dans ses desseins, nous nous apercevrions qu'il vient toujours à point nommé, au moment exact où cela convenait le mieux pour nous, et pour les autres. Nous le constatons d'ailleurs lorsque, nous retournant, nous saisissons que le Seigneur ne pouvait pas agir autrement et qu'il ne pouvait se montrer ni en un autre lieu ni en un autre instant.
Le futur nous échappe et doit nous échapper, pour que nous ne soyons pas tentés de construire nos vies selon nos vues et, par là, de ne pas nous préparer à l'approche de Dieu.
Etre disponibles va vous amener peu à peu à vouloir être vulnérables. Si nous nous installons dans nos vies chrétiennes comme des possédants, ce n'est pas que nous voulions consciemment utiliser les dons reçus et mettre le Créateur à notre service, c'est plutôt que nous avons peur de lui. Nous nous enfermons dans une carapace d'habitudes, d'actes généreux ou même héroïques pour nous protéger contre des incursions qui risqueraient de nous remettre en question et d'ébranler les bases mêmes de nos conceptions et de nos agissements. Rien de plus désagréable que de se livrer perpétuellement à une initiative dont nous ne pouvons imaginer où elle va nous conduire. Cet Autre divin dont les pensées et les volontés nous échappent, nous ne pouvons pas spontanément faire autre chose que de nous en garder. Sinon, il semble que la voie serait ouverte à toutes les blessures et à tous les bouleversements. Nous préférons donc donner beaucoup, à notre manière, combattre et même souffrir, plutôt que de nous laisser faire par ce qui nous apparaît toujours plus ou moins comme le caprice de Dieu. Tentation grave, mais toujours renaissante, que de vouloir jouir des biens de Dieu et même des grandes grâces qu'il a pu nous accorder, comme s'ils nous appartenaient. Il nous faut donc réapprendre sans cesse à nous exposer au danger de la rencontre avec Dieu. Les coups qu'il nous porte sont les seuls moyens dont il dispose pour ouvrir nos cœurs à son action. D'ailleurs celui qui frappe est aussi celui qui guérira. (cf. Os 6,1)
Accueillir Dieu, le désirer, l'attendre, nous rendre disponibles ou vulnérables, tous ces mots recouvrent une seule et même réalité : accepter que l'amour de Dieu se renouvelle chaque jour à notre égard. S'il nous donne l'impression de venir impromptu, c'est parce qu'il est nouveau à chaque instant. La charité, qui est le résumé du christianisme, prend sa source dans la surabondante bonté du Père, mais son éternité n'est pas vieillie, elle est toujours en train de naître. Nos yeux ne sauraient s'habituer à sa rencontre ; et chaque fois, en un sens, ce sera comme si nous ne l'avions jamais vu ni entendu.
Parce qu'il est le tout Autre, impossible à comprendre, à saisir et à contenir, non seulement il faut qu'il reste en dehors de nos prises, mais nous ne pourrons le reconnaître qu'au sein de l'étonnement, comme un étranger qui vient habiter en nous de façon durable. Cependant, cet Autre, déjà connu et toujours à découvrir, se prenant à nous aimer, notre surprise se change en émerveillement. Ce Dieu lointain, qui se rend si proche et auquel toutefois notre regard ne peut s'accoutumer, nous fait soupçonner qu'aujourd'hui les choses et la vie commencent, que c'est l'heure de la première rencontre, qu'il est inutile et sans intérêt de savoir s'il y en aura une autre, si même il y aura un jour qui s'appellera demain.
Accueillir Dieu, c'est découvrir au bout du compte que son amour pour nous est toujours à son commencement et qu'il n'aura donc jamais de fin.
A suivre...
"Une initiation à la vie spirituelle" - François ROUSTANG -
DDB coll. Christus 1961