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Une initiation à la vie spirituelle (2)

La rencontre avec Dieu (suite)

Les chrétiens qui s'en tiennent à la défense des valeurs morales, même s'ils ignorent les prolongements qu'elles permettent ou préparent, n'en sont pas moins les auxiliaires anonymes de ceux qui seront appelés à une vie chrétienne plus transparente à ses fondements et à ses fins. Par l'application de la loi transmise par révélation, c'est Dieu, en effet, qui se répand dans la communauté et qui diffuse en elle son amour. Les règles de vie sont le lien du peuple, l'éduquent à recevoir le Seigneur qui veut transformer les siens en lui-même. Sans le maintient de cet aspect collectif, la vie spirituelle risquerait de se dissoudre dans un effort individuel qui n'aurait plus de chrétien que le nom. Au contraire, le respect des lois objectives, valables pour tous, rappelle que, si la foi vient par l'intermédiaire de la communauté et ne peut croître qu'en elle, il faut servir celle-ci afin de devenir pour elle un ferment nouveau. C'est pourquoi, à tant de faux spirituels qui s'enferment dans leur solitude, les hommes qui s'en tiennent à la morale ont le droit de dire : l'efficacité sociale de la loi vaut davantage que la stérilité d'une croyance prétendue supérieure à celle du commun. 

 

 

La vie spirituelle ne peut se passer d'une relation à autrui, elle est même seule à pouvoir nous faire communier  à l'humanité tout entière ; les règles objectives garantissent son authenticité et la forcent à ne jamais mettre sa confiance en son propre jugement, sans l'avoir confronté auparavant à ce qui lui est imposé du dehors et qui vient également de Dieu. 

   Un troisième trait de la vie morale qui prépare à la vie spirituelle réside dans l'exigence perpétuelle du renoncement à soi. Sans dépasser la conscience d'une obéissance à des règles, beaucoup de chrétiens atteignent à une authentique démission d'eux-mêmes. Ils ont peu réfléchi aux formes que pouvait prendre l'action de Dieu dans leur vie, mais ils ne biaisent pas avec la vérité qu'ils connaissent. Sans doute seront-ils enclins à verser dans le pharisaïsme, car, en acceptant les principes d'existence qu'ils se sont donnés, il leur arrive d'être soucieux de fidélité à eux-mêmes plus qu'au vouloir de Dieu.

L'héroïsme de la soumission à la loi devient alors une caricature de la mort à sa volonté propre. Ils seront également tentés de laisser dans l'ombre certains aspects de la morale chrétienne susceptibles de les atteindre au vif, si bien qu'on les voit, assez souvent, s'enfermer dans une rigidité qui exclut toute remise en question un peu sérieuse. Ces risques entendus, il demeure incontestable que la morale chrétienne saura obtenir d'eux des sacrifices qui, pour n'être pas spectaculaires, les acheminent peu à peu vers  le détachement évangélique.   

   Mais ces caractéristiques de toute vie chrétienne : sens de la transcendance divine, union des hommes dans l'obéissance au vouloir de Dieu et passage nécessaire par le dépouillement de soi, ne peuvent ni s'accomplir ni se rejoindre tant que l'on reste au plan moral. Sans doute l'unité existe-t-elle déjà, d'une certaine manière, par la foi au Christ et dans le baptême, mais elle n'apparaît pas encore  comme telle aux yeux mêmes de celui qui en est le sujet. En raison du caractère général et abstrait de la loi, son observance ne permet pas  véritablement d'atteindre Dieu, si bien qu'après l'avoir vu se révéler en elle pour nous permettre d'accéder jusqu'à lui, nous devons abandonner celle-ci pour le trouver. Dieu est dans la loi, c'est pourquoi elle peut m'éduquer et il me faut l'accepter de sa main,mais il n'est pas la loi ; lorsque je pratique la morale, le désir de le trouver lui-même doit sans cesse me dévorer et me faire sentir à quel point la plus parfaite fidélité aux commandements est sans commune mesure avec la rencontre concrète, qui est  seule à pouvoir étancher ma soif. 

   Cesser de s'appuyer sur la morale et sur ses propres œuvres est peut-être l'un des renoncements les plus difficiles, mais il est seul capable de nous faire participer à la Croix du Christ ; et cette mort à nous-mêmes est condition du renouvellement de notre vie. La mortification chrétienne, c'est-à-dire la descente au tombeau avec le Christ, n'est pas à confondre avec l'héroïsme qui accepte d'accomplir ce qui contrecarre ses goûts et ses désirs ; elle est essentiellement, pour l'homme, le refus de se confier en ses propres forces. 

   Enfin, si la morale peut faire découvrir que les lois sont nécessaires pour structurer une société particulière et rassembler ses membres, elle ne peut concevoir l'union de tous les hommes dans le Christ. Se bornant, en effet,à ce qu'elle voit, elle constate la variété des coutumes et des religions, mais elle n'indique pas comment cette variété pourrait être un jour dépassée. 

Seul l'Esprit est assez puissant pour réunir l'humanité en un seul corps. La loi, au contraire, apporte  avec elle le rejet de ceux qui refusent de s'y soumettre ; et, à la désobéissance absolue, elle ne saura jamais trouver d'autre remède que la mort. C'est par-delà la multitude des mœurs et des pratiques, et même à travers leurs oppositions apparentes, que l'Esprit, parlant au cœur, pourra faire tomber les murs de séparation. 

   En un mot, se cantonner dans la vie morale, telle que l'Eglise peut la formuler et la préciser de siècle en siècle, c'est en revenir à la révélation de l'Ancien Testament et renoncer dans la pratique à trouver le Dieu qui est Trinité. Si nous voulons dépasser les frontières de la foi, il faudra que nous apprenions à suivre les injonctions du Père pour mourir dans le Christ Jésus, afin que l'Esprit établisse sur terre, en nous délivrant du mal, le Règne universel de Dieu.  

 

A suivre...   

"Une initiation à la vie spirituelle" - François Roustang -

DDB coll. Christus 1961

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