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Présentation au Temple

De nouvelles manifestations d'en Haut vont en effet se produire autour de l'Enfant. C'est comme une deuxième révélation, aussi biblique que la première  ; mais elle revêt une autre forme. Nous avons vu les bergers du désert comme un retour des patriarches ; nous allons voir dans les vieillards du Temple comme un réveil des prophètes. Les différents âges de l'ancien temps viennent refleurir aux premiers rayons du Christ-Seigneur. Notons-le également, cet accompagnement plus ou moins surnaturel demeure extérieur au mystère, à la réalité duquel il n'ajoute absolument rien. Au milieu de tout cela, le Fils de Dieu s'engage tranquillement dans son Incarnation. Il est un petit homme, en apparence comme tous les autres. Rien n'est fait pour alléger ni pour modifier sa condition. Il est le nourrisson emmailloté et allaité ainsi qu'ils le sont tous. Comme c'est un garçon, ses parents doivent soigneusement compter ses jours, car, au bout des huit premiers, il faut le faire circoncire pour l'incorporer à son peuple, et, au bout des quarante, le porter à la Ville sainte pour l'offrir à Yahvé selon qu'il est écrit dans la Loi.

Écoutons donc là-dessus la continuation du récit de Luc. Saisissons bien l’enchaînement. 

 

 

Ainsi, lorsque furent accomplis les huit jours de sa circoncision, c'est alors que lui fut appliqué son nom, Jésus, celui même que l'ange lui avait donné avant qu'il eût été conçu au sein de sa mère.

Ensuite, lorsque furent accomplis les jours de leur purification (entendez : à lui et à sa mère) conformément à la loi de Moïse, ils le portèrent à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur, suivant ce commandement écrit dans la loi du Seigneur : 

         Tout mâle premier-né sera réputé consacré au Seigneur.

Ils eurent aussi à offrir en sacrifice, comme il est ordonné dans cette Loi du Seigneur, une paire de tourterelles, ou bien deux petits de colombes. 

         Mais voilà qu'il y avait dans  Hiérousalem (Jérusalem) un homme appelé Siméon.

Or, cet homme était juste. Il était même scrupuleux dans sa religion. Il attendait la Consolation d'Israël. Assurément, l'Esprit-Saint était sur lui. Il avait même été révélé par cet Esprit-Saint qu'il ne verrait pas la mort avant  qu'il eût vu  le Christ du Seigneur. Aussi vint-il au Temple, sous l'impulsion de cet Esprit. Et, au moment même où les parents apportaient le petit Jésus pour s'acquitter à son égard des observances de la Loi, voici que lui, Siméon, le prit dans ses bras.

Et il bénit Dieu en disant : 

         Maintenant tu peux laisser ton serviteur, ô Maître,

         s'en aller en paix, suivant ton décret, 

         car mes yeux ont vu ton Salut,

         celui que tu as préparé au bénéfice de tous les peuples,

         comme une lumière pour éclairer les nations,

         et comme une gloire pour Israël ton peuple.

Le père et la mère de l'Enfant étaient là dans l'admiration de ce qui était dit à son sujet. Alors Siméon les bénit. Puis, il dit à l'adresse de Marie, la mère du petit : 

         Cet enfant-là est destiné à être une cause de chute,

         et aussi une cause de relèvement, pour un grand nombre en Israël. 

        Oui, il est destiné à être un signal de contradiction.

         Aussi, toi-même, tu auras l'âme transpercée d'un glaive. 

         Il faut que puissent être dévoilées les pensées qui s'agitent au fond de beaucoup de cœurs.

Il y avait aussi Anne. C'était une prophétesse. Elle était fille de Phanouel,  de la tribu d'Aser. C'était une personne fort avancée en âge. Elle avait laissé son état de jeune fille pour vivre sept ans avec un mari, puis elle était restée veuve jusqu'à ses quatre-vingt-quatre ans. Cette femme ne quittait pas le Hiéron (Temple) : elle prenait part aux jeûnes et aux prières, elle servait Dieu nuit et jour. Elle aussi survient au bon moment, elle rendait grâces à Dieu et elle parlait de l'Enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Hiérousalem. 

         Après qu'ils eurent accompli tout ce qui était selon la Loi du Seigneur, ils s'en retournèrent en Galilée à leur ville qui était Nazareth. [Luc 2, 21-39]

 

Les noms en vedette sont ceux des personnes rencontrées. Néanmoins, tout le récit est conduit du point de vue de l'Enfant et de ses parents. Lui et eux ne sont pourtant même pas désignés par leurs noms. Ou bien ils le sont par des pronoms. Ou bien, supposés présents à l'esprit du lecteur, ils sont naturellement le sujet des verbes.

Toute la scène se déroule dans la conformité à la Loi. Les observances du huitième jour sont accomplies au lieu de la nativité. Celle du quarantième jour, à la Maison du Seigneur. Et, quand tout est fini, les parents reviennent à leur domicile. 

La Loi est nommée avec beaucoup de respect "Loi de Moïse, Loi du Seigneur". Dans la pensée de l'évangéliste, il y a une haute convenance à ce que le Christ se trouve soumis à cette Loi et par là incorporé au peuple dont il sera la consolation et dont il doit payer le rachat (Lc 2,25.38).

Cependant, l'intérêt du récit  n'est pas tant dans cet accomplissement des observances légales que dans les incidents exceptionnels dont elles sont l'occasion, et qui vont être une reviviscence du prophétisme, provoquée par la seule venue de l'Enfant. 

Sur la circoncision, Luc n'insiste pas autant qu'il l'a fait pour le petit Jean [le Baptiste]. L'imposition du nom l'intéresse beaucoup plus. Il rappelle que Marie en a reçu la communication d'en Haut, avant même que l'Enfant commençât d'exister en elle (Lc 1,31). C'est Joseph qui doit officiellement attribuer le nom : nous savons par Matthieu qu'il a reçu, lui aussi, à ce sujet, des instructions  du ciel (Mt 1,21). Dans le présent récit , Joseph est introduit par ce pluriel : " ils le portèrent à Jérusalem ", qui ne peut s'appliquer qu'aux parents du petit, lui Joseph qui naturellement passe pour le père, et Marie sa femme. 

" Leur purification ", prescrite par la Loi, ne peut concerner que la mère et l'enfant. D'ailleurs, pour que personne ne s'y trompe, Luc prend soin de citer deux extraits de la vieille législation (Ex 13,2.12.15 ; Lv 12,8). Il dit la chose dans le sens le plus général, sans rien préjuger quant au cas particulier de son héros. Il veut faire connaître qu'il ne serait pas venu à l'esprit de Marie de soustraire ni son fils ni elle à la cérémonie qui leur incombe.

Cette cérémonie constitue, si l'on peut dire, ses relevailles à elle, son rachat à lui. En précisant qu'il fallut présenter l'enfant [Lc 2,22] et aussi offrir un sacrifice, Luc peut vouloir indiquer que la cérémonie comporte une part pour le petit, une part pour la mère. Toutefois, l'indication demeure vague ; et le lecteur, à moins qu'il ne connaisse très bien la Loi, supposera que le sacrifice est offert aussi pour la présentation et le rachat de l'enfant, alors qu'il est uniquement pour la purification et les relevailles de la maman. 

Ce qu'il fallait pour le rachat du premier-né, c'était de verser au Temple les cinq sicles d'argent [Nombres 18,16]. De cela, Luc ne dit mot. Il lui plaît, au contraire, de signaler que la Sainte Famille, en offrant seulement ses deux petits pigeons, se contente du sacrifice des pauvres. C'est aussi la preuve qu'elle est venue à Jérusalem avec très peu de moyens et que le Christ-Seigneur fait très modestement sa première entrée dans le Hiéron (Temple de Jérusalem). Il apparaît tel un petit Israélite comme tous les autres. Ils prennent rang, sa mère et lui, parmi les petites gens. Leur présence n'est parée d'aucun faste du côté de la terre, ni d'aucun éclat du côté du ciel. Et c'est ce qui va rendre plus remarquable la levée de Siméon et d'Anne, ainsi que l'émoi des saintes gens qui gravitent autour d'eux. 

Somme toute, Luc a raconté assez sommairement la partie légale de cette affaire. En revanche, il en expose magnifiquement, et avec une complaisance marquée, la partie prophétique. le style même prend un tour plus relevé. Voyez ce trait entre d'autres : le nom de la ville, jusque-là écrit dans sa forme commune, " Jérusalem ", revêt à partir d'ici sa forme sacrée : " Hiérousalem " ; il confère une solennité à tout le récit, puisqu'il se lit au début et à la fin, depuis "il y avait dans Hiérousalem" (Lc 2,25), jusqu'à " la délivrance de Hiérousalem " (Lc 2,38)

Dans ce cadre de la Ville sainte, voici deux inspirés vénérables, un homme et une femme. Lui est un habitué du Héron. Elle en est même une habitante. Luc veut insinuer qu'ils fréquentent, tous les deux, le haut lieu où souffle l'Esprit de Yahvé. Ils sont, l'un et l'autre, nommés par leurs noms. Peu s'en faut qu'ils ne soient présentés comme de vieilles connaissances. 

   L'histoire juive de ce temps-là connaît un Siméon qui, étant déjà dans un âge avancé, aurait pu voir le Christ nouvellement né. Ce Siméon n'est rien de moins que le fils d' Hillel et le père de Gamaliel, qui furent de très grands rabbis. Hillel n'est mort, il est vrai, que vers l'an 13 de notre ère ; mais il est mort, dit-on, à cent vingt ans. Son fils Siméon avait donc atteint un âge fort respectable, au moment de la Présentation de l'Enfant Jésus au Temple, l'an 4, avant notre ère. Le petit Jésus salué par le fils d' Hillel, c'est une interprétation tentante. Néanmoins, Luc écrit simplement : Il y avait un homme appelé Siméon. Il nous semble que Luc ne désignerait pas dans ces termes si vagues un personnage aussi distingué. Il paraît plus probable que le Siméon de l'évangile est un humble, un modeste. Mais il est un vrai serviteur de Yahvé, plus grand devant Dieu que devant les hommes ; il est un nabi, un homme de l'Esprit. Nous sommes renseignés sur son état d'âme.

Siméon est un homme juste ; entendez : un homme parfait. Il est qualifié d'une manière très spéciale et d'un mot original. Il est "timoré", c'est-à-dire circonspect, réservé, dans ses idées religieuses et dans ses pratiques religieuses. C'est un grand spirituel : sa pensée est élevée, ses vues sont larges. Un homme doux, tout dépouillé de soi, un homme au cœur pur et tout près de voir Dieu. Il est absorbé dans l'attente de ce qu'il appelle lui-même  "la paraclèse d'Israël". Il veut dire le Messie.  Il le regarde comme le soutien, l'appui permanent, la lumière et la joie, la gloire, va-t-il dire, de l'Israël qui sait être le vrai peuple de Dieu. 

   Le cantique de Siméon dépeint ce doux prophète tel qu'il est. Les stances ne sont pas dues seulement aux inspirations du moment, mais découlent des pensées que cet homme a continuellement. Siméon est un exemple de l'Israël de Yahvé. Il lui a été révélé qu'il ne mourrait pas avant d'avoir vu l'Oint du Seigneur. Le texte ne dit plus à cet endroit " le Christ-Seigneur", comme il l'a dit plus haut [Lc 2,11] : il dit " le Christ du Seigneur " [Lc 2,26], l'Envoyé de Yahvé, celui qui est tout consacré pour inaugurer, avec l'ère messianique, le véritable Règne de Dieu.

Ce Christ n'est pas seulement le Sauveur, comme il a été annoncé aux bergers [Lc 2,11]; il est, à l'esprit de Siméon, " le Salut " en personne, le Salut de Yahvé [Lc 2,30]

   Marie étant d'un ordre à part, la révélation à la pensée de ce vieillard est ce que nous avons de plus avancé et de plus élevé dans toute cette première manifestation autour du Christ-Enfant. Même à l'Annonciation, il n'y a pas eu de paroles aussi étendues ni aussi claires sur la conversion des Gentils et la lumière des Nations. Et pourtant Siméon ne sait rien des épisodes ni des annonces qui ont eu lieu. Tout lui vient du Saint-Esprit qui est en lui. Le texte de Luc insiste beaucoup là-dessus.

Siméon, l'humble Siméon, est un prophète à la manière des plus illustres. Sa pensée se meut sur l'horizon d'un Isaïe. Sa sensibilité est dans le frémissement d'un Jérémie. Il est poussé au Temple par l'Esprit. S'il reconnaît l'Enfant, et s'il fait le geste si émouvant de le prendre à sa Mère, et de recevoir dans ses vieux bras ce frêle nouveau-né, c'est uniquement sous l'impulsion du Saint-Esprit.

S'il parle enfin, et s'il dit à son tour un si noble cantique, c'est parce que le fait de tenir l'Enfant redouble l'inspiration de l'Esprit et la porte à son comble. A ce moment, Siméon fait figure d'un grand voyant. Il ne voit pas seulement sur la terre, il voit jusque dans le ciel. Il appelle Dieu " son Maître ". Il est pleinement soumis à Lui. Il est prêt à partir dans son éternité. Il est en extase devant l'ampleur et la majesté du plan divin. Il respire la paix et la joie. La joie des yeux de l'esprit, qui s'ouvrent à une lumière immense. Même les nations païennes, au regard de Siméon, sont envahies par cette illumination provenant du Salut de Dieu. Quant à Israël, il en reçoit une gloire, une gloire magnifique, la gloire de procurer ce Christ au monde. 

   Siméon est si visiblement inspiré que le père et la mère de l'enfant sont dans l'admiration. Siméon les bénit. Ce n'est pas étonnant, c'est même très décent, étant donné leur jeune âge à eux et son grand âge à lui. Puis il s'adresse à Marie, la mère du petit, et la personne qui est la plus engagée dans le mystère. Ses paroles, aussi inspirées que les précédentes, dévoilent un autre aspect de ce mystère. Siméon, les dit à Marie, comme s'il avait mission de l'enseigner. Il parle sur un ton moins lyrique qu'il n'a fait dans son cantique. Il dit les choses avec une gravité simple, comme ferait à sa petite fille un vieux sage, un bon grand-père illuminé d'en Haut. Il vient de chanter un Christ de gloire. Il annonce à présent un Messie de contradiction. 

Siméon a été en extase devant le dessein de Dieu ; il est en tristesse devant la division des hommes. Il a la hardiesse de le dire : ce Christ que voici est fait pour opérer cette division-là ; ce Christ sera, même parmi les siens, une occasion de chute pour beaucoup, mais pour beaucoup, un principe de relèvement ; et, dans l'humanité, un signe à propos duquel on s'affronte, autour duquel on n'est pas d'accord, un signe admis par les uns et rejeté par les autres.

Il a été réservé à d'anciens prophètes d'entrevoir cette triste chose. Isaïe a prédit qu'Israël même serait infidèle et que seul "un reste" serait  sauvé. L'ère messianique, si elle est celle de la nouvelle alliance , est aussi le temps de la vengeance [Is 8,14 ; 10,22 ; 49,26 ; 50,11 ; 51,23 ; 61,2]. Et le Serviteur de Yahvé, plus grand que tous les autres serviteurs, s'il est très exalté par ses fidèles, sera méconnu et méprisé par beaucoup d'hommes [Is 52,13 - 53,12]

Siméon a en lui l'Esprit de ces prophètes, il entrevoit tout cela. Sa clairvoyance pourtant demeure vague, et parfaitement appropriée à la circonstance. Les paroles prononcées n'indiquent pas que le paradoxe soit éclairci dans la pensée. Il est déjà bien extraordinaire que ce sage vieillard en ait eu l'idée, et qu'il en ait fait la confidence à Marie.

A la fin, Siméon va jusqu'à dire que le Christ est posé pour amener ainsi la multitude des gens à dévoiler à eux-mêmes et aux autres ce qu'ils ont dans le cœur : au contact du Christ, chacun est mis en demeure de faire voir quelle pensée secrète l'anime et ce qu'il a dans l'esprit au point de vue de Dieu.  

Juste avant ce mot de la fin, le prophète dit à Marie: " C'est pourquoi, en toi-même, une large épée te parcourra l'âme " [Lc 2,35]. Etant donné la bizarrerie de cette apostrophe et la coupure qu'elle fait dans le discours, des exégètes sont portés à dire qu'elle pourrait bien être une glose. Il est certain qu'elle interrompt le mouvement de la prophétie. Mais n'est-ce pas la preuve que celle-ci se poursuit sans rien de guindé et sur un ton confidentiel ? Le bon Siméon est très ému devant cette toute jeune femme. Elle l'écoute comme un grand-père. Lui la voit attentive, intelligente, pénétrée. Il est naturel qu'il s'arrête de prédire la destinée de l'enfant pour s'apitoyer sur l'angoisse de la maman.

L'apostrophe à Marie est une parenthèse. Elle n'a même plus le caractère d'une prophétie. Elle est une conséquence de ce qui est prédit, l'énoncé d'une répercussion naturelle, un hommage rendu, en passant, au cœur de Marie. Ce que Siméon annonce à Marie, ce n'est pas précisément le glaive du martyre ni le coup dont elle sera frappée au Calvaire, c'est quelque chose de beaucoup plus étendu, c'est le tourment qu'elle aura tout le temps, de voir son Fils si mêlé à tout, rencontrant si peu de compréhension et tant d'opposition. 

Nous croyons entendre le vieux Siméon dire à Vierge Marie : Vous ressentirez vivement toutes choses ; avec un Fils pareil, il est inévitable que vous soyez toujours tourmentée, comme si l'épée recourbée s'en venait vous ravager l'âme. Siméon comprend bien que Marie ne faillira pas, ne faiblira pas. Elle sera la plus éprouvée au contact du Christ et la première à dévoiler ce qu'elle a dans le cœur. Jésus n'aura personne qui puisse être plus sensible à ce qui lui arrive, que ne le sera Marie. 

   Après ou avec ce grand Siméon qui fait figure de sage et de prophète, il y a aussi la vieille Anne à laquelle Luc donne sans hésiter le titre de prophétesse. L'Ancien Testament connaît des prophétesses : Ex 15,20 ; Jug 4,4 ; Chr 34,22. Le Nouveau Testament en signale aussi  qui vivent dans la présence à Dieu et sont capables de donner de bons avis [Ac 2,17-18]. 

Anne est présentée comme étant encore plus connue que Siméon. Nous savons d'elle sa généalogie. La tribu d'Aser fut une tribu galiléenne : est-ce important ? Nous apprenons tous les états de vie par lesquels cette femme est passée, et l'âge auquel elle est parvenue. Son état de jeune fille et son état de veuve semblent  particulièrement honorés ; entre les deux, elle n'a été mariée que sept ans ; Luc paraît dire : C'est peu sur les quatre-vingt-quatre ans de son existence.

Le veuvage d'Anne rappelle peut-être celui de Judith [Jdt 16,26]. Anne s'est élevée à un genre de vie assez extraordinaire. Les cours, les colonnades et les bâtisses du Hiéron, c'était toute une cité, ouverte jour et nuit, à tous et à tout ; même le trafic s'y pratiquait. Cela n'empêchait pas les juifs pieux d'y rechercher obstinément le lieu de la prière et la maison de Yahvé. Anne était de ce nombre. Moniale avant la lettre, elle ne quittait pour ainsi dire pas ce Hiéron (Temple de Jérusalem). Elle avait dû s'y constituer, dans un recoin inaperçu, une cellule exiguë, une modeste couchette, une sorte de petit logis. Elle prenait part aux prières liturgiques. Elle était toujours en prière. Elle vivait de presque rien, se livrant ainsi aux jeûnes de tradition et sûrement à d'autres. L’Évangile la dépeint avec admiration, comme un bel exemple de ce qu'il y a de plus pur en Israël. Elle a l'air très attaché à la Ville sainte.

Pour ces vieux Hiéroslomitains,  Jérusalem est  le centre de la Nation.  Peut-être se disent-ils, sans verser par-là dans un nationalisme exagéré, que la vie religieuse du pays tout entier dépend de la ferveur de la capitale. C'est la ville qui donne le ton. Lui procurer toute sa sainteté et sa liberté spirituelle, c'est sauver tout le peuple. Ils sont un certain nombre qui vivent dans cette espérance de "la délivrance de Hiérousalem". Qui sait si la prophétesse Anne n'est pas une des inspiratrices de ce groupe ? Elle n'a pas cependant l'envergure de Siméon. Elle reste dans un horizon plus borné. Cependant, sa présence au bon moment, l'inspiration qui la met en mouvement, la lumière qui se fait en elle, tout cela est, comme chez Siméon, l'oeuvre de l'Esprit. Anne complète la galerie des bons Israélites, premiers témoins du Christ. 

   Si nous admettons que toutes ces informations sont parvenues à Luc comme des souvenirs de Marie, nous devons nous dire qu'elle est entrée avec émotion, avec respect, avec joie, dans la connaissance et dans l'amitié de ces vieilles personnes, Anne et Siméon. Nous pouvons même nous demander, quand nous constatons qu'elle les connaît si bien, s'ils n'étaient pas pour elle d'anciens amis. Sa première formation dans Jérusalem, ses fréquentations au Temple, s'en trouveraient ainsi confirmées. Élevée dans la Ville sainte, présentée au Temple dès l'âge le plus tendre, elle aurait connu, étant enfant, Anne et Siméon, chers à ses parents (Anne et Joachim) peut-être. La sainte enfant (Marie) se serait même édifiée et instruite aux exemples de ces vénérables anciens. C'est là une pure supposition ; mais je ne vois pas ce qui interdirait de la faire.

   Les rencontres provoquées par l'Esprit ne font pas perdre de vue les observances prescrites par la Loi de Moïse. Luc finit comme il a commencé. Les observances sont accomplies sur les plus hauts lieux de la Judée. Aussitôt après, l'évangile ramène la Sainte Famille dans la petite bourgade obscure de Nazareth en Galilée. C'est là que l'Enfant doit être élevé. Pourquoi Luc ne dit-il donc rien, ni des mages d'Orient, ni de la fuite en Egypte ? Pas de réponse certaine, uniquement des conjectures mais tirées d'une lecture attentive. Il se peut que, dans l'évangile de la vie publique, Luc fasse preuve d'un esprit universaliste ; mais il est certain que, dans l'évangile de l'Enfance, il reste fidèle à un esprit  très israélite. Partout ailleurs, il pourrait accueillir avec faveur cette évocation, et de l'Orient et  de l'Egypte.

Ici, cette évocation n'entre absolument pas dans son plan. Qu'il ait, ou non, la pensée de ne pas répéter et même celle de compléter Matthieu, son intention est de montrer comment le Christ-Seigneur a été  l'objet, à sa venue au monde, de manifestations qui sont, toutes, à l'intérieur  et à l'honneur d'Israël. Ces premières approches du Sauveur ont remué le fond le plus israélite du pays, et touché des âmes de choix, un prêtre, une fille de prêtre, leur fils qui sera le second Elie, des bergers du désert, des prophètes de la Ville sainte. Luc a dû se rendre compte que de tels événements redonnaient une sorte d'actualité  aux annales du plus authentique Israël.

Ni la sagesse  de l'Orient, ni la rage d'Hérode, ni l'accueil de l'Egypte n'avaient place dans un cadre pareil. Il valait mieux n'en rien dire, et laisser ces choses dans le plan de Matthieu auquel nous n'avons qu'à revenir. 

 

A suivre...

P.-R. Bernard,  O.P - Le Mystère de Jésus - Salvator, 1967 

 

 

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