Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani,
et il dit aux disciples :
- Restez ici, tandis que je m'en irai prier là-bas.
Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée,
il commença à ressentir tristesse et angoisse.
Alors il leur dit :
- Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi.
Etant allé un peu plus loin,
il tomba face contre terre en faisant cette prière:
- Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux.
Il vient vers les disciples et les trouve en train de dormir ;
et il dit à Pierre :
- Ainsi, vous n'avez pas eu la force de veiller une heure avec moi ! Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l'esprit est ardent, mais la chair est faible.
A nouveau, pour la deuxième fois, il s'en alla prier :
- Mon Père, dit-il, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite !
Puis il vint et les trouva à nouveau en train de dormir ; car leurs yeux étaient appesantis.
Il les laissa et s'en alla de nouveau prier une troisième fois, répétant les mêmes paroles.
Alors il vient vers les disciples et leur dit :
- Désormais vous pouvez dormir et vous reposer : voici toute proche l'heure où le Fils de l'homme va être livré aux mains des pécheurs. levez-vous ! Allons ! Voici tout proche celui qui me livre.
Évangile selon saint Matthieu (Mt 26,36-46)
Méditation du Père Romano Guardini
L'heure de Gethsémani est inépuisable. Chacun doit y prendre ce que son cœur peut en contenir. Nous nous en tiendrons à ce qui est inclus dans ces paroles : " Il commença à ressentir tristesse et angoisse " et " sa sueur devint comme des gouttes de sang coulant jusqu'à terre" ( omis par Mt mais présent en Mc 14,33 et Lc 22,44).
C'est l'horreur que le Rédempteur éprouve devant le péché. Non seulement devant les souffrances et la mort en soi, mais parce qu'il fallait qu'il les subît en propitiation pour le péché. Il devait s'en charger et répondre pour lui.
A quel point ce dut être terrible, nous l'apprenons par cette autre parole de sa prière : " Père, tout vous est possible : éloignez de moi ce calice" (Mc 14,36) Ce qui doit s'accomplir répugne à tout son être ; non seulement comme la mort au désir de vivre, mais comme le péché à Dieu.
Et voici la troisième parole : "Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux." (Mt)
Ce qu'il y a de pire dans le péché, c'est qu'il se dissimule. Partout il affecte des faux semblants : il est tout naturel, on ne saurait l'éviter, c'est la vie dans sa force , ou sa gravité, ou son tragique - quoi encore ? - qui s'exprime en lui.
Lorsque nous vivons avec le Christ ce qu'il subit ici, nos yeux s'ouvrent. Il est important dans la vie du chrétien, l'instant où, pour la première fois, il éprouve l'effroi de la réalité qu'est le péché. Nous rencontrons partout l'angoisse de la créature, mais elle-même en ignore la cause la plus profonde : c'est le péché, dont toute existence subit l'emprise.
Dans l'angoisse du Christ, il perce et se montre en sa suprême et plus terrible lumière. C'est lui qui fait éprouver au Fils de Dieu l'épouvante de cette heure. Mais nous-mêmes devons reconnaître - chacun de nous doit reconnaître avec un grand sérieux qui le concerne en propre : c'est mon péché dont l'horreur se révèle ici.
Les trois Mystères suivant (flagellation,couronnement d'épines, portement de croix) nous entretiennent des souffrances subies par le Seigneur avant sa mort. Entre eux se situe tout ce que nous rapportent les Évangiles sur son arrestation, son procès et sa condamnation, dont nous entendons en eux la résonance.
Il est difficile de parler de ces Mystères. C'est nous qu'ils concernent, hommes déchus ; ils nous révèlent comment le Seigneur a assumé en lui cette déchéance et l'a portée jusqu'au bout. Ce qu'ils renferment est infini. Nous ne pouvons jamais en considérer qu'un seul point. Le fidèle verra lui-même comment poursuivre sa méditation.
+R.G