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Que nous enseigne donc le récit de la faute d'Adam sur la nature profonde du péché ? Certes, la faute d'Adam apparaît comme une désobéissance au commandement de Dieu. Cependant, si l'homme a désobéi, c'est que le serpent a réussi à allumer en lui un désir, une convoitise, une ambition jusque là ignorée mais qui a soudain polarisé toutes ses énergies vers un seul objet : devenir comme un dieu.
"Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal " (Gn 3,4-5) [32]
Etre autonome jusque dans le choix moral, discerner le bien et le mal, ou même en décider par soi-même, ne pas être sujet de la mort.
Pourquoi une telle résonnance, en l'homme, de la suggestion du Mauvais, sinon parce que l'homme se sentait plus ou moins consciemment, plus ou moins explicitement fait pour devenir Dieu ? Et l'on voit alors que le péché réside dans le choix, pour atteindre ce but, d'une voie qui non seulement ne peut y conduire, mais supprime toute possibilité d'y atteindre en excluant l'unique vrai Dieu en Lequel seul l'homme pouvait s'accomplir. Le fruit défendu apparaît comme un moyen quasi magique qui permettrait à l'homme de se passer de Dieu et de se procurer, indépendamment de Lui et par ses propres forces, les privilèges convoités de la divinité.
Il y a, dans ce désir de devenir par soi-même comme un dieu (cf. note ci-dessous) dans cette ambition, pourrait-on dire, "d'auto-divinisation" un orgueil, un égocentrisme, une suffisance, un élèvement qui provoquent plus que toute autre chose le dégoût de Dieu, selon le mot de Jésus en Lc 16,15, parce qu'il est finalement une "auto-idolâtrie". Mais il y a aussi, là, comme un geste de l'homme qui écarte Dieu de son chemin. Vouloir devenir dieu en dehors du dessein et du secours de Dieu, c'est vouloir prendre sa place, c'est vouloir, plus ou moins consciemment, Le supplanter ; et c'est se mettre dans une position de rivalité par rapport à Lui. La rivalité par rapport à Dieu est donc sous-jacente au péché de l'homme, elle est pour ainsi dire le climat psychologique favorable à son éclosion. Et c'est ce climat de rivalité que le serpent s'est efforcé de créer dans l'esprit de l'homme, précisément en dépeignant à ses yeux l'image d'un Dieu Lui-même rival de l'homme. Alors que Dieu s'était montré infiniment généreux envers l'homme, en l'établissant dans un jardin de délices, en faisant de lui le maître de sa création et comme son lieutenant en ce monde, en lui donnant, après tous les fruits de cette création une épouse qui serait son aide et sa joie, alors que Dieu Lui-même entretenait avec lui des rapports d'une exquise familiarité, le serpent insinue que la défense de manger du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin est un [33] stratagème mensonger par lequel Dieu ne cherche qu'à sauvergarder ses privilèges. Dieu revêt ainsi dans l'esprit de l'homme l'aspect d' un despote jaloux, mesquin, intéressé. L'homme commence à transposer en Dieu les sentiments dont il se laisse pénétrer, il fait Dieu à son image.
A suivre...
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Note : " Si la vocation de l'homme est de devenir Dieu et s'il convient, en parlant de cette vocation, d'employer la majuscule, c'est bien par contre le lieu, ici, en parlant du péché et de l'ambition de devenir dieu par soi-même, d'employer la minuscule : car, par lui-même, l'homme ne saurait faire de lui qu'une idole..."
Claude Richard - Il est notre Pâque - Cerf , 1980
Claude Richard a été abbé de l'abbaye cistercienne Notre-Dame de Timadeuc, près de Rohan