Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'au-delà : projection d'un désir ? Jean-Paul Sartre (2)

 Jean-Paul Sartre a fait de l'analyse existentielle de Heidegger le point de départ de sa propre philosophie, un existentialisme que Heidegger lui-même, entièrement axé sur l'être, n'a jamais approuvé. Dans "l'Etre et le Néant",  son oeuvre majeure, Sartre à la différence de Heidegger, appréhende "l'essence" de l'homme, non plus dans l'interprétation existentielle de l' être, où l'être, condition de possibilité de l'existence, la précède toujours et la fonde ; pour Sartre, au contraire, l'existence de l'homme, celle qu'il "projette" librement, précède toujours son essence. C'est dire que, dans son projet d'existence absolument libre, l'homme n'est plus déterminé par aucune essence stable, et cela n'est pas sans conséquences pour l'interprétation que Sartre donne de la mort qui est dès lors présentée (et encore une fois à la différence de Heidegger) dans l'optique d'un athéisme résolu.

Comme Heidegger, Sartre plaide contre le camouflage et le refoulement de la mort dans le monde moderne. Comme lui, il comprend la condition mortelle comme faisant partie de l'existence humaine. Mais, à la différence de Heidegger, Sartre ne considère plus la vie à partir de la mort, mais la mort à partir de la vie. Avec verve, il s'en prend à l'interprétation de l'existence comme "être-pour-la-mort". Il lui semble trop optimiste de voir dans la mort l'excellente possibilité d'une existence qui se projette et se comprend. La mort ne permet pas qu'on l'intériorise, qu'on l'individualise, qu'on l'intègre à la vie ni qu'on la maîtrise pour la totalité de l'existence humaine. Pourquoi ?

C'est que, pour Sartre, la mort est un fait brut, un fait de hasard, un fait aveugle que nous ne comprendrons jamais et dont nous ne disposerons jamais. Elle arrive soudain, inopinément, elle est imprévisible et reste une surprise même pour celui qui l'attend à une date déterminée. Par conséquent, la mort est quelque chose d'autre que la simple finitude (temporalité) qui appartient à la structure ontique  de l'homme et qui existerait même sans la mort, même si l'homme était immortel. Non, la mort s'introduit de l'extérieur, comme un fait brutal, incertain, totalement hasardeux, dans l'être de 60 l'homme qui se projette et réalise ses possibilités.  Elle ne l'aide pas à réaliser son être total, mais y fait définitivement obstacle. La mort brise toute possibilité et fait de l'existence un fragment. Ma mort est donc rien moins que ma possibilité, elle est au contraire très précisément l'envers de mon libre choix. C'est bien ma mort mais, dans la mort, je suis seulement condamné à devenir la proie des autres, des survivants.

En d'autres termes, la mort ôte à la vie toute signification ; elle n'est ni ma possibilité ni, moins encore, mon excellente possibilité. Certes, l'homme acquiert dans la mort un état définitif ; mais c'est un définitif de néant, absurde. Car, pour finir, toute possibilité que nous avons réalisée dans la vie est atteinte et balayée par un hasard qui détermine ainsi toute notre vie et la livre à l'absurdité. La mort est absurde, parce qu'elle rend toute notre vie absurde : ce qu'il faut noter tout d'abord, c'est le caractère absurde de la mort. Elle n'est pas l'accord final qui dénoue et délivre à son terme une mélodie et lui confère après-coup la totalité de son sens. Non, elle en est l'arrêt brusque, venu du dehors, sans aucun sens.

À son tour, il faut interroger Sartre. Chez lui, l'athéisme, et par suite aussi l'absurdité de la mort, ne sont-ils pas des présupposés trop évidents ? Ne livrent-ils pas plus  une conviction qu'un fondement à ce sujet ? La mort n'est-t-elle que ce qui est visible dans la matière morte, celle qui n'est pas encore vivante, ou celle qui, dans le cadavre, a cessé de vivre ? N'est-ce pas donner d'une manière fallacieuse à la mort une valeur absolue que d'en faire quelque chose exclusivement absurde ? N'enlève-t-on pas ainsi à la mort justement ce qui fait son "essence",  d'être une question pendante, d'ouvrir sur une réalité dont l'être ni la visée ne sont définis ? Il faudrait ici faire intervenir la position de Karl Jaspers :  quoique philosophe de l'existence, il se garde de faire de la vie et de la mort des absolus.

                                                                                                               A suivre....

Hans Küng - Vie éternelle ? Ed du Seuil , 1985 ISBN 978-2-02-008604-2

 

Commentaires

  • De plus en plus la vie semble absurde, et la peur de la mort et du rien est juste sous la surface de notre conscience quotidienne. (1) Bien que les structures et les institutions de la croyance religieuse subsistent, leur fonction est désormais largement sentimentale et cérémoniale. Ceux qui croyaient se sont enfuis, au profit du supermarché spirituel post-psychédélique, dans une recherche affolée de nouvelles réponses au problème de la mort. Un des prophètes modernes de l’immortalisme, Alan Harrington, défend que l’anticipation de la mort est maintenant le plus important des facteurs, pris isolément, qui déterminent le comportement humain

Les commentaires sont fermés.