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Adorateurs de Baal (1/2)

63. A l'époque d'Elie, Israël se trouve depuis longtemps en Canaan et il s'est adapté à la civilisation de ce pays; il a appris l'agriculture et l'élevage sédentaire du gros bétail. Après une longue période de nomadisme, cette existence lui fait l'effet d'une gigantesque mutation, pour prendre le langage de Gaudium et Spes (n° 4-10). et voilà que sa foi vacille tout à coup, passant par une crise grave, par un "malaise", dirions-nous. Car le monde où il vit présentement lui semble totalement étranger à Yahvé : totalement sécularisé, selon notre langage actuel. Yahvé "n'est pas de ce pays" (pour reprendre les paroles d'un beau négro spiritual) : il est d'ailleurs du Sinaï, de "là-bas" (...) Et même si la distance ne le gêne pas, puisqu'il pourrait 64. intervenir en un clin d’œil (Jg 5,4), il ne semble pas appartenir à l'univers familier, à la vie quotidienne. 

Sur place, la foi paraît inadaptée aux circonstances, impropre aux besoins journaliers, inapte à résoudre les problèmes  de l'actualité "dans le monde de ce temps". Le Yavhisme est "désincarné", il n'est pas "dans la vie", il ne sert à rien, il est inutilisable. Yahvé pour quoi faire ? ...

Les soucis des hommes n'ont rien à voir avec la religion que tonitruent les prophètes, et qui consiste avant tout dans le respect de l'Alliance. A cent lieues de cette préoccupation théologale, les gens, parce qu'ils veulent vivre et réussir, s'absorbent dans les tâches de l'heure : ils désirent avant tout que la pluie vienne en son temps, que les champs produisent, que les troupeaux se multiplient. Mais, pour tout cela, peut-on encore compter sur Yahvé.

Le souvenir d'une très ancienne libération, racontée par les aïeux dans les soirées de prière, qu'en a-t-on à faire présentement ? Comment Yahvé supporterait-il la comparaison avec les divinités païennes d'alentour, autrement efficaces ? La fécondité de la terre et des troupeaux n'est-elle pas une "valeur" digne d'attention, et que la foi risque de minimiser, dans la stérilité d'une expérience hasardeuse 

C'est alors que se présentent, séduisants, les baalim locaux : divinité des sources, des bosquets et des collines, procédés brevetés efficaces, d'où les anciens habitants tenaient leur supériorité technique et culturelle; ne faut-il pas s'adapter à ces pratiques, comme on s'est adapté à l'ensemencement et aux lois de la culture ? Yahvé n'est-il pas dépassé ? Et l'on se livre au paganisme avec frénésie...

Baal, qu'est-ce au juste ? Essentiellement  une réduction de la divinité à une rôle énergétique. Dieu n'est plus la toute première option de la conscience : il n'intervient qu'en second, de biais (de façon "oblique", dirait saint Ignace). Il est précédé par un choix plus absolu que lui, et qui s'adjuge l'acte de foi, l'adoration. Il n'est plus le Seigneur, mais une énergie mise en exploitation, à des fins de fécondité (nous dirions : d'efficacité). On ne le sert plus ; on s'en sert, et sur commande. Il ne précède plus : on l'attelle (c'est la seule chance de survivre qu'on lui donne). Il n'a plus droit au portail royal ("Levez-vous, portes éternelles ; qu'il entre le roi de gloire !") : on le prie de passer par la porte réservée aux fournisseurs, de prendre l'escalier de service.

A suivre

André Manaranche - Je crois en Jésus-Christ aujourd'hui - Seuil 1968

 

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