(186)... Il n'y a pas de sentence de l'Evangile qui exprime mieux le conflit de Jésus avec les chefs de sa nation que cette Béatitude : " Bienheureux pour qui je ne suis pas un objet de scandale ! " De toutes les béatitudes évangéliques, elle est l'assise. Nul n'obtient la béatitude éternelle, pour laquelle il a été créé et mis au monde, s'il ne surmonte ce "scandale" qui est consubstantiel à la personne de Jésus.
On croit que ce fut facile de suivre Jésus. Ce ne fut pas facile.
Les autorités et la mode étaient contre lui. Toutes les autorités, aussi bien civiles que religieuses, qui d'ailleurs en Israël étaient les mêmes. Evidemment il y avait les miracles, mais les pharisiens les attribuaient à Belzébuth. Au reste les miracles n'ont jamais convaincu ceux qui se disent des " esprits forts ". Les miracles, même aujourd'hui, ajoutent le scandale au scandale.
Je voudrais insister sur le scandale propre à Jésus, absolument propre et inaliénable, singulièrement révélateur. Ce n'est pas ce qu'il dit qui est le plus scandaleux, ce n'est pas ce qu'il fait - bien que tout cela le soit beaucoup - c'est ce qu'il est, ce qu'il est toujours et éternellement.
Ses ennemis pourraient transiger sur bien des choses, trouver des interprétations restrictives ou, comme on dit, "bienveillantes". Mais sur l'essentiel il n'y a aucun compromis possible ; sur ce qu'il est, il n'y a aucune interprétation restrictive qui tienne.
Dans l'Evangile de Jean (chapitre 11), et tout de suite après l'épisode de la Samaritaine, on le voit bien. Cette fois-ci on est entre Juifs, à Jérusalem, au cours d'une fête religieuse et le jour du Shabbat. Jésus fait un miracle : il guérit un homme paralytique depuis trente ans, lui commande de se lever, de marcher, de rentrer chez lui en emportant son grabat. (187) Or la loi du Shabbat est stricte, aggravée encore par la jurisprudence tatillonne des pharisiens : il ne faut rien porter le jour du Shabbat, c'est la loi du Seigneur, et il n'y aurait que Dieu qui pourrait relever de la Loi édictée par lui. Nous vivons dans une société tout entière modelée sur le sacré, qui se mobilise entièrement et instantanément contre celui qui ose outrager ce qu'elle a de suprême, la Loi de son Dieu.
Jésus est un bon Juif. Pendant trente ans dans son village il a donné l'exemple de la piété et de l'observance de la Loi : qu'est-ce qui le prend aujourd'hui de la transgresser délibérément ? S'il est monté de sa Galilée lointaine, c'est bien pour célébrer une fête rituelle, et pour la célébrer dans le temple, là où réside la Gloire du vrai Dieu. Jésus n'a jamais renié sa qualité de Juif, il l'a revendiquée au contraire et la revendiquera jusque devant Pilate. Il est né et mourra Juif, au point que très véridiquement l'écriteau sur la croix portera l'inscription " roi des Juifs ".
R.L Bruckberger - " La Révélation de Jésus-Christ " Gallimard 1983