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théodicée

  • L'au-delà : les religions orientales et le christianisme (7)

    [90] Il est incontestable que, derrière la doctrine de la réincarnation, se cache avant tout la question philosophico-religieuse d'un ordre juste et moral du monde, la question de la justice dans un monde où les destins sont par trop inégaux. Un examen aussi bien rétrospectif que prospectif des arguments s'impose donc.

    a) Rétrospectivement : un ordre du monde véritablement moral présuppose nécessairement l'idée d'une vie antérieure à la vie actuelle. Car comment expliquer les inégalités de chances entre les hommes, la diversité troublante des situations morales et des destins individuels si l'on n' admet pas que les bonnes ou mauvaises actions d'une vie terrestre antérieure sont la cause du sort actuel de l'homme ? Autrement, il me faudrait tout mettre au compte du hasard aveugle ou d'un Dieu injuste qui permettrait que le monde soit tel qu'il est maintenant. Réincarnation ou renaissance sont donc nécessaires pour donner à l'homme une explication de lui-même, de son origine, et pour justifier Dieu ! Le problème de la théodicée serait alors résolu. On pourrait alors expliquer pourquoi si souvent tout va mal pour le bon (à cause de bonnes actions antérieures !). Voilà donc une doctrine de la renaissance qui se fonde sur le karma (action ou oeuvre), sur les suites des bonnes comme des mauvaises actions, qui déterminent le destin de chaque [91] homme dans la vie présente et dans les naissances futures. Une bonne conduite entraîne automatiquement la renaissance dans le bonheur (comme brahmane, ou roi, ou au ciel), une mauvaise conduite entraîne la renaissance dans la misère (comme animal, ou dans l'enfer qui évidemment n'est pas éternel).

    Si claire que paraisse au premier coup d'oeil cette position, elle soulève pourtant d'autres questions : 

    1. Est-ce que vraiment une vie antérieure peut expliquer de façon satisfaisante le destin de ma vie présente ? Cette vie antérieure devrait elle-même être expliquée par une vie encore antérieure, de sorte qu'on remontrait in infinitum par une chaîne de renaissances. Cela finalement n'explique rien et les hindous et jaïns eux-mêmes n'en sont pas partisans. 

    2. Mais supposons que, en qualité de croyant à la réincarnation, on postule, avec la tradition judéo-christiano-islamique, un commencement dû à une création par Dieu, comment faut-il concevoir ce premier commencement qui rend encore nécessaire une deuxième vie, sans pourtant accabler le créateur de cette créature  manifestement malheureuse ? Un recours à la chute précosmique de purs esprits est-elle en ce cas réellement un secours ? 

    3. Si nos dispositions morales s'expliquent par une renaissance, n'en arrive-t-on pas alors à un individualisme an-historique qui néglige pour une bonne part ce que nous tenons très concrètement non pas d'une vie précédente hypothétique, mais de l'héritage biologique, de la formation de notre conscience et de notre inconscient dans la toute petite enfance, des premières relations personnelles et finalement de toute la situation sociale ? 

    4. Si de facon générale il faut admettre un oubli radical de la vie antérieure, l'identité d'un homme est-elle alors préservée et m'est-il effectivement de quelques secours de savoir que j'ai déjà vécu, si j'ai totalement oublié cette vie ? 

    5. La doctrine de la réincarnation n'implique-t-elle pas finalement un manque de respect devant le mystère de la divinité, un manque de confiance quant à une juste et miséricordieuse répartition, et appréciation de la destinée et de la souffrance ? La dure loi de causalité du karma occupant la place de l'amour de Dieu qui, dans sa justice et sa miséricorde embrasse les bonnes comme les mauvaises actions ? 

    b) Prospectives :   ............   à suivre . 

     

        

    Hans Kûng - Vie éternelle ? Ed du Seuil , 1985 ISBN 978-2-02-008604-2