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jaïre

  • La résurrection du Christ et la nôtre (2)

    [159] (...)

    Que veut donc dire le Nouveau Testament, par la diversité de ses images et de ses formes narratives, quand il parle de "vie éternelle" ? Prenant pour toile de fond ce vaste matériel, nous pouvons essayer de cerner cette vie par deux définitions négatives et une positive.

    1. Ce n'est pas un retour à cette vie spatio-temporelle. Par résurrection, le Nouveau Testament entend tout autre chose que Friedrich Dürrenmatt dans sa pièce le Météore où il fait (de manière fictive évidemment) revivre un cadavre qui revient à une vie terrestre inchangée. Il ne faut pas non plus assimiler la Résurrection de Jésus aux résurrections de morts de l'Antiquité. Nous les trouvons disséminées dans la littérature ancienne au sujet des thaumaturges (accrédités même par des témoignages médicaux) ; nous les trouvons également par trois fois chez Jésus : la fille de Jaïre (Mc 5,21-43 et par.), le jeune homme de Naïm (Lc 7,11-17) et Lazare (Jn 11).

    Abstraction faite de la crédibilité historique de tels récits légendaires (chose étonnante, Marc et les autres synoptiques ignorent tout de la sensationnelle résurrection de Lazare aux portes de Jérusalem), la Résurrection de Jésus n'a justement rien à voir avec la reviviscence d'un cadavre. Même chez Luc, Jésus n'est pas revenu purement et simplement à la vie biologique, terrestre, pour finalement mourir de nouveau comme les autres ressuscités. Non, la mort n'est pas différée, mais définitivement vaincue. Selon la conception du Nouveau Testament, le Ressuscité a définitivement franchi le seuil ultime qu'est la mort. Il est entré dans une vie [160] céleste, tout autre : dans la vie de Dieu. Pour parler de cette vie, le Nouveau Testament déjà utilise des formules et des images très variées.

    2. Ce n'est pas la continuation de la vie spatio-temporelle. C'est donc quelque chose de tout à fait différent de la vie banale et ennuyeuse, temporelle et intemporelle, du Triptyque de Max Frish. Le simple fait de parler d' <<après>> la mort est trompeur  : l'éternité n'est pas déterminée par un avant et un après. Elle signifie plutôt une vie nouvelle qui outrepasse la dimension de l'espace et du temps pour entrer dans le domaine invisible, impérissable, insaisissable de Dieu. Ce n'est pas un "encore" sans fin : encore vivre, encore agir, encore aller, mais quelque chose de définitivement  "nouveau". Ceci dépasse définitivement et le retour du "meurs et deviens", éternellement le même, de la nature, et celui du mythe sur lequel insiste tant la pensée indienne. Etre définitivement près de Dieu et ainsi avoir la vie qui ne finit pas, voilà ce que veut dire "vivre éternellement".

    3. C'est donc plutôt l'accueil dans la réalité ultime et primordiale. Si l'on ne veut pas parler en images, il faut considérer la Résurrection et l'Ascension (enlèvement, montée au ciel, glorification) comme un seul et même événement en rapport avec la mort, dans l'intimité inimaginable de Dieu. Le message pascal, malgré ses nombreuses variantes, ne dit qu'une chose :

    - Jésus n'est pas mort pour entrer dans le néant. Dans la mort et par sa mort, il est mort pour entrer dans cette réalité insaisissable et incompréhensible, ultime et primordiale que nous appelons Dieu ; il a été accueilli par elle. L'homme ayant atteint la réalité ultime de sa vie, qu'est-ce qui l'y attend ? Non pas le néant (même celui qui croit au nirvâna dirait de même), mais ce Tout qui, pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, est l'unique vrai Dieu. La mort est un passage vers Dieu, c'est un rapatriement dans l'intimité de Dieu, c'est l'accueil dans sa gloire. Qu'avec la mort tout soit fini, seul un athée au sens strict peut le dire. Dans la mort  [161], l'homme est soustrait aux rapports qui l'entourent et le déterminent. Du point de vue du monde, de l'extérieur pour ainsi dire, la mort signifie absence complète de toute relation, rupture de toute relation aux humains et aux choses. Mais du point de vue de Dieu, de l'intérieur pour ainsi dire, la mort signifie une relation tout à fait nouvelle : une relation à Dieu en tant qu'il est la réalité ultime. Dans la mort un avenir nouveau, éternel est offert à l'homme, et à l'homme tout entier, et non à une partie de lui-même. 

    - Un avenir nouveau, non dans notre espace et dans notre temps, ici et maintenant dans ce monde-ci.

    - Mais pas davantage dans un autre espace et dans un autre temps : dans un "au-delà", dans un "en-haut", dans un "hors-de" ou un "au-dessus", dans un "autre monde".

    - Un avenir nouveau tout à fait différent : ce dernier chemin, décisif et tout autre, ne ramène pas l'homme à ce monde quotidien comme le chemin que suivent ceux qui ne sont que cliniquement mort. Ce n'est pas non plus le chemin que suivent les cosmonautes, dans cet univers ou même au-delà. C'est (pour parler tout de même en images) un départ vers l'intérieur : un retour pour ainsi dire vers la raison d'être la plus profonde et vers le sens primordial du monde et de l'homme, vers le mystère inexprimable de notre réalité : de la mort à la vie, du visible à l'invisible, de l'obscurité mortelle à l'éternelle lumière de Dieu. Ce n'est pas une intervention contre les lois de la nature, mais une prise de relais au moment où la nature, en vertu de ses propres lois, s'épuise. 

    Que signifie cette Résurrection de Jésus pour moi ici et aujourd'hui ? 

                                                              A suivre....

    Hans Küng - Vie éternelle ? Ed du Seuil 1985